Certains destins sont plus singuliers que d'autres. Prenez le cas de Xavier Dolan, 20 ans, tous ses cheveux et toutes ses dents.

Pur inconnu la semaine dernière alors qu'il s'envolait pour Cannes, voilà que son premier film présenté lundi à la Quinzaine des réalisateurs en a fait à la fois une des sensations de l'heure sur la Croisette, le plus jeune cinéaste québécois jamais gratifié de cet honneur et un candidat sérieux à la Caméra d'or.

Tout cela grâce à un film tourné avec ses économies d'enfance, une brochette d'actrices attachantes, un thème pas souvent exploité (la relation mère-fils) et un titre drôle et dévastateur: J'ai tué ma mère.

D'ailleurs avec un titre pareil et un propos résolument autobiographique, impossible de ne pas penser à la vraie mère de Xavier Dolan. Existe-t-elle vraiment? Est-elle toujours vivante? Et si oui, comment survit-elle au fait que son fils triomphe à Cannes grâce à un premier film où il règle son oedipe en la tuant symboliquement?

 

Question délicate s'il en est une que je n'ai pas osé poser à Geneviève Dolan, la mère de Xavier que j'ai retrouvée au collège de Maisonneuve où elle s'occupe des admissions. La voix qui a répondu au premier coup était fraîche, vive, pleine d'aplomb, mais pas nécessairement prête à épiloguer très longtemps sur un film qu'elle n'a pas vu et que son fils a promis de lui montrer en projection privée dès son retour de Cannes la semaine prochaine.

«Je n'ai pas de problème avec le titre du film, a tout de même concédé Geneviève Dolan, je n'ai pas peur non plus de découvrir ce qu'il raconte. Je sais que ce n'est pas un documentaire sur moi, mais une fiction. J'ai très confiance dans le talent de mon fils. Je suis fière et emballée par ce qui lui arrive et tout ce que je peux dire à ce stade-ci, c'est que j'ai vraiment hâte de voir le film.»

Bref, malgré le titre de son film, Xavier Dolan n'a pas tué sa mère. Il n'a pas tué son père non plus, l'acteur et chanteur Manuel Tadros, que j'ai joint sur le plateau de tournage d'une coproduction. Lui non plus n'avait pas vu le film de fiston.

Le jour où Xavier a organisé un visionnement pour ses proches, son père, qui avait lu le scénario, n'a pas réussi à se libérer de ses obligations. Qu'à cela ne tienne, Manuel Tadros se dit particulièrement fier d'être le digne père de son fils.

«Xavier et moi, on se ressemble beaucoup, côté drive et détermination. La différence, c'est que moi à son âge, je n'avais pas les outils. Mon père était un bijoutier qui ne connaissait pas grand-chose au monde des arts. Mon fils, c'est un enfant de la balle, qui a vécu sur les plateaux dès l'âge de 4 ans. À 7 ans, il était le roi des studios de doublage. Non seulement c'est un bon acteur, c'est aussi un chercheur de mots qui peut passer des soirées entières à jouer à trouver des mots incroyables.»

Enfant de parents séparés, Xavier a surtout vécu avec sa mère, n'allant chez son père qu'une fin de semaine sur deux. Mais dès l'âge de 17 ans, bien déterminé à ne pas être un Tanguy, il quitte la maison maternelle et se prend un appartement. Il s'inscrit au collège de Maisonneuve où travaille sa mère en même temps qu'il commence à écrire le scénario de son premier film. Mais au bout de deux mois, l'écriture du scénario l'absorbe au point qu'il se sent obligé d'abandonner le cégep.

Étrangement, ses parents n'essaient pas de l'en dissuader. Son père lui dit d'oublier le cégep et de tenter plutôt sa chance dans les écoles de théâtre l'année suivante. Sa mère laisse les choses aller sans trop insister elle non plus. «Quand Xavier a quelque chose en tête, c'est impossible de l'arrêter», dit-elle. Sauf que cette fois, Xavier misait gros.

Non seulement voulait-il réaliser son film, mais faute de subventions, il songeait à le financer avec l'argent gagné comme acteur pendant son enfance. La somme d'environ 150 000 $ avait été placée par ses parents. Xavier voulait l'investir au complet dans son film. Si sa mère n'aimait pas l'idée, elle ne l'a jamais dit. «C'était son argent, plaide-t-elle. C'est lui qui l'avait gagné. Et quand il n'y en aurait plus, il n'y en aurait plus.»

Pour sa part, Manuel Tadros s'est dit que son fils avait toute la vie devant lui pour gagner sa vie. «Le seul conseil que je lui ai donné, c'était de se garder un petit coussin de côté pour vivre. Mais il ne m'a pas écouté et il a fini par se retrouver sans le sou.»

Sans le sou, mais riche d'un rêve fou: celui d'aller à Cannes coûte que coûte. Autant dire que Xavier Dolan avait une chance sur un million de se retrouver à la Quinzaine entouré d'Anne Dorval, de Suzanne Clément et d'une poignée de mères de substitut. Une fois de plus, il a gagné son pari. Et si d'aventure en plus de tout cela, il devait remporter la Caméra d'or, il ne lui restera plus qu'à remercier le ciel pour sa bonne étoile, et sa mère et son père pour le reste.