Mardi après-midi à la billetterie du cinéma Beaubien. Une mère, sa fille d'environ 10 ans et une amie de sa fille. Deux billets, ceux des filles, pour Le renard et l'enfant. La mère, pendant ce temps, ira voir J'ai tué ma mère. Regard interloqué de la fille: «J'ai tué ma mère? C'est un film d'horreur?»

Un peu oui. Un film d'amour aussi, et d'exaspération. Brillant premier film de Xavier Dolan, d'une verve inouïe, avec ses défauts certes, ses excès lyriques, son narcissisme affiché, mais surtout une mise en scène truffée de trouvailles et des dialogues ciselés dans le diamant brut. À 20 ans, Xavier Dolan n'a pas encore trouvé sa signature, éparpillé dans ses références, mais il a déjà imposé un regard de cinéaste.

«Il était la coqueluche du Festival de Cannes 2009», écrit d'emblée Le Monde dans sa critique d'hier (voir le texte de mon collègue Louis-Bernard Robitaille). Je ne m'étais pas rendu compte à quel point. La coqueluche québécoise, sans l'ombre d'un doute. La coqueluche de la Quinzaine des réalisateurs, où il a remporté trois prix, peut-être. Mais LA coqueluche du Festival de Cannes 2009, toutes sections confondues? J'avais le regard trop embrouillé pour le constater.

J'ai découvert J'ai tué ma mère avec le public de la Quinzaine des réalisateurs. Gens de tous âges, ados comme leurs grands-parents. On a su tout de suite que l'humour décapant de Dolan ne s'embêtait d'aucune frontière. Rires spontanés d'un public bigarré, malgré l'accent québécois sans concession des personnages. Après la tirade d'anthologie de la mère (Anne Dorval) contre un directeur de pensionnat peu compréhensif, les applaudissements ont fusé de toutes parts. Pari gagné.

Après la projection et une conférence de presse publique fort courue, la presse québécoise attendait de parler au héros du jour. Deux filles, un garçon, 17-18 ans, des Français, fébriles, le visage empourpré par l'émotion, légèrement en retrait, comme repliés collectivement sur eux-mêmes, semblaient se demander: «On y va ou pas?» On aurait juré qu'ils s'apprêtaient à saluer (ou pas) Johnny Depp. Une semaine plus tard, les gens s'arrêtaient toujours spontanément dans la rue ou sur une terrasse, pour saluer le jeune cinéaste. «J'aimerais vous remercier. Votre film m'a rappelé bien de souvenirs.»

À Cannes, la presse française a salué en quelques lignes ce «jeune talent prometteur». La presse québécoise s'est emballée. S'est-elle trop emballée? Je ne saurais être juge et partie. J'ai eu un coup de coeur, pour le front, pour l'aplomb, pour la maturité de Xavier Dolan. Pour ce jeune surdoué sorti de nulle part.

Un journaliste, quel qu'il soit, peut-il être imperméable à toute forme de chauvinisme? Il y a une part de moi, je l'ai senti dès le départ, qui a souhaité que le film du «p'tit Xavier» soit porté par la réaction enthousiaste du public et des médias. Il l'a été du reste; ses prix en témoignent. Le doute s'est néanmoins installé.

J'ai tué ma mère a pris l'affiche hier dans 58 salles en France. L'accueil médiatique est de taille, et à l'avenant. Un portrait et une critique enthousiaste dans Libération, une longue critique plutôt favorable dans Le Monde (malgré un titre trompeur), des critiques dithyrambiques de l'AFP, du Figaro et de L'Express, une entrevue flatteuse dans Les Cahiers du cinéma et deux textes dans Télérama, qui salue ce nouvel «enfant chéri du cinéma».

Je m'en réjouis bien sûr. Ce n'est pas qu'une question de chauvinisme. On dira, je l'entends déjà, qu'il tient au complexe de colonisé des Québécois de chercher l'imprimatur de la métropole culturelle française. Peut-être. L'enthousiasme pour nos artistes en Ukraine nous intéresse moins que leur cote d'amour chez les Français. Rapport à notre histoire, à notre langue, à l'image fantasmée qu'on se fait de la Culture française.

Complexe de colonisé ou pas, l'avis distancié, détaché de toute sentimentalité, de l'observateur étranger, est souvent pertinent. Surtout lorsque, les yeux collés sur son sujet, la tête étourdie par l'ouragan, le chauvinisme planant, on en vient à douter de son propre jugement.