Je me rappelle la soirée des Oscars en 2003. L'animateur Steve Martin avait bien fait rire l'auditoire en laissant croire que Roman Polanski, en nomination pour un Oscar grâce au Pianiste, était assis dans la salle.

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«Get him!» avait-il lancé. Le célèbre cinéaste n'était évidemment pas sur place pour aller chercher sa statuette dorée. Depuis maintenant 31 ans, Polanski évite soigneusement de mettre les pieds aux États-Unis, où un mandat d'arrêt a été lancé contre lui à cause d'une affaire de moeurs remontant aux années 70.

Hier soir, Polanski devait recevoir au Festival de Zurich un prix pour l'ensemble de sa carrière. En lieu et place, il fut cueilli, à la demande des États-Unis, dès sa descente d'avion par les policiers suisses et fut envoyé au cachot. Bien fait pour lui, diront ceux qui estiment qu'il doit enfin faire face à la justice américaine.

À ceux-là, je leur suggérerais de voir Roman Polanski: Wanted and Desired, un document sans complaisance dans lequel la réalisatrice Marina Zenovitch retrace toute cette affaire, laquelle s'est soldée par l'exil du cinéaste en France.

«Cette histoire est entourée de toute une mythologie sensationnaliste. Parce que c'est un crime sexuel, parce que c'est Roman Polanski, parce qu'il a fui le pays. Ces manchettes ont toujours pris le dessus sur toute autre information dans ce dossier. Le film n'excuse d'aucune façon Polanski; c'est juste un documentaire pour dire ce qui est arrivé, exactement pourquoi il a pris l'avion», expliquait la réalisatrice dans une entrevue accordée à ma collègue Anabelle Nicoud.

Au-delà de toutes les ramifications morales liées à cette affaire, les circonstances de cette arrestation restent quand même troublantes. Les festivals de cinéma permettent en effet la libre circulation des oeuvres et des idées. Les cinéastes y trouvent habituellement un espace où, même interdites dans leur propre pays ou ailleurs, leurs oeuvres sont célébrées. Parlez-en aux cinéastes chinois ou iraniens. Pensons aussi à tous ces réalisateurs qui, souvent au péril de leur propre sécurité, tournent des films sous le manteau. Dans le cadre des festivals, les artistes bénéficient habituellement d'une certaine «immunité diplomatique». On me dira que la dissidence politique n'a évidemment rien à voir avec une affaire de moeurs. C'est vrai. N'empêche qu'un lien de confiance vient d'être brisé en Suisse.

Polanski, un citoyen français, a reçu une invitation du Festival de Zurich. Il l'a acceptée. Il s'y est présenté. On le garde maintenant en «détention provisoire en attente d'extradition», en vertu d'une entente avec un pays étranger. Il y a là quelque chose de choquant.

Un chapitre s'ajoute ainsi à un destin dont l'aspect plus sombre semblait pourtant lié à un passé beaucoup plus lointain. Enfant de la guerre, pendant laquelle ses parents furent exécutés, Polanski a vécu l'exil politique avant de connaître la plus grande tragédie de sa vie: l'assassinat de sa jeune femme enceinte, Sharon Tate, par la bande de Charles Manson. Cette histoire avec une mineure, survenue quelques années plus tard à Los Angeles, rattrape maintenant un homme qui croyait probablement avoir entamé il y a longtemps une autre phase de sa vie.

À 76 ans, Polanski voit aujourd'hui s'écrire malgré lui le nouveau chapitre de son roman noir.