Fais-moi plaisir! d'Emmanuel Mouret, comédie décalée au charme suranné, a ouvert jeudi le festival Cinémania. L'événement, qui célèbre son 15e anniversaire, s'est taillé une place de choix dans le paysage cinématographique québécois en faisant la part belle au cinéma français.

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Mis sur pied essentiellement pour faire connaître le cinéma français à un public anglophone, ce festival du «film sous-titré» est devenu au fil du temps un tremplin d'exception pour les films de l'Hexagone auprès du public cinéphile francophone. Les primeurs s'y bousculent, les artistes invités sont nombreux; bref, le cinéma français s'y porte à merveille.

Cinémania, malheureusement, est l'exception qui confirme la règle. Les films français n'ont plus la cote au Québec depuis plusieurs années. Et les choses ne vont pas en s'améliorant. L'an dernier pourtant, le cinéma français a fait des gains importants à l'étranger, fracassant record après record. Selon Unifrance, l'organisme chargé de la promotion du cinéma français dans le monde, la fréquentation des films français a progressé de manière fulgurante partout, sauf au Japon et dans un village d'irréductibles Gaulois, le Québec.

Depuis environ 15 ans, le box-office du cinéma français oscille entre 3 % et 7 % des recettes totales aux guichets québécois. Et 2009 s'annonce difficile. Après un été catastrophique (seulement 1 % du box-office québécois) et malgré les succès relatifs de Coco avant Chanel et autres Taken («français» par la cuisse gauche), le cinéma français risque de ne pas obtenir davantage que 3,5 % des parts du marché québécois.

Au-delà des statistiques annuelles, le problème du cinéma français au Québec reste beaucoup plus profond. Les belles années du cinéma hexagonal chez nous sont loin derrière. Le Québec est essentiellement devenu un marché de niche pour un type de cinéma d'auteur français, selon Unifrance, alors que le cinéma français plus populaire trouvait ici un public fidèle jusque dans les années 1990.

Aujourd'hui, une comédie mettant en vedette Dany Boon, succès quasi inévitable en France, n'est pas du tout assurée de trouver un public québécois. Cela s'explique par des facteurs culturels, bien sûr. Par des facteurs économiques aussi: la pénurie d'écrans disponibles au Québec pour le cinéma français complique grandement sa commercialisation.

Les distributeurs québécois, coupables de surenchère il y a quelques années, achètent moins facilement des films français, de peur de ne pas faire leurs frais. Les exploitants de salles les diffusent moins volontiers, de peur de voir leurs recettes chuter. Les télédiffuseurs ne font plus de place au cinéma français à heure de grande écoute, de peur de voir fléchir les cotes d'écoute. Les distributeurs, sans garantie d'une diffusion télévisuelle ultérieure, prennent de moins en moins de risques. Cercle vicieux...

Comme le souligne ma collègue Anabelle Nicoud, chacun se renvoie la balle. Au final, c'est le cinéphile qui écope. Des films français importants sortent parfois n'importe comment et disparaissent aussitôt. De véritables bijoux ne prennent pas l'affiche au Québec. Chacun de mes voyages à New York est désormais le prétexte à la découverte de nouveaux films français inédits. New York, je veux bien, est une vraie de vraie métropole. Mais Montréal ne se targue-t-il pas d'être la «deuxième plus grande ville francophone au monde»?

Chacun a sa part de responsabilités dans la stagnation de la fréquentation du cinéma français chez nous. Mais je tiens le cinéma français responsable davantage que tous les autres de sa propre turpitude. L'industrie cinématographique française a trop longtemps négligé le public québécois. Elle n'a pas su maintenir l'intérêt et témoigner de l'évolution de son star-système auprès des Québécois. Isabelle Adjani, Gérard Depardieu, Catherine Deneuve sont de grandes stars ici comme en France. Ce n'est malheureusement pas le cas de la nouvelle génération de comédiens et de cinéastes français.

La France a tenu pour acquis le marché québécois. Depuis plusieurs années, elle en paie le prix. Les efforts d'Unifrance, qui vient en aide aux distributeurs québécois en se chargeant par exemple des frais de déplacement d'artistes dans des festivals comme Cinémania, sont insuffisants.

En 2008, le cinéma français a fait un bond prodigieux vers l'avant partout sur la planète, mais pas au Québec, un territoire pourtant «naturel» pour sa diffusion. La France, le regard tourné vers les États-Unis, n'a pris aucune mesure particulière pour corriger cette situation. C'est peut-être le plus triste dans cette histoire. Le cinéma français est moribond depuis longtemps au Québec. Et ça ne semble pas faire un pli aux Français.