«Un Golden Globe, ça ne s'achète pas», a déclaré Ricky Gervais dimanche, le sourire en coin, secouant la tête comme pour dire: «sauf que...». Le brillant animateur du gala des Golden Globes s'est peut-être fait rare, mais il n'a pas raté une occasion de mettre en valeur son humour cinglant et décapant.

«Sauf que...» On n'aurait pas su mieux dire. Avatar, reparti avec les prix de la meilleure réalisation et du meilleur film, comme Titanic du même James Cameron 12 ans plus tôt, n'a peut-être pas «acheté» ses Golden Globes. Mais les centaines de millions qu'il a engrangés depuis quelques semaines ne sont sans doute pas étrangers à son succès auprès des 83 électeurs de la nébuleuse Hollywood Foreign Press Association, qui déterminent les lauréats des GG.

Absent des listes de fin d'année des associations de critiques américaines, le block-buster du siècle est devenu d'un seul coup, grâce à la presse étrangère établie à Los Angeles, le principal prétendant à l'Oscar du meilleur film, dont les bulletins de vote doivent être remis au plus tard ce samedi. Vous avez dit «momentum»?

J'entends d'ici glousser de plaisir les geeks à l'idée qu'un jeu vidéo 3-D destiné à un public de 12 ans et mettant en vedette des Schtroumpfs géants puisse être sacré meilleur film de l'année à la barbe d'un long métrage s'appuyant, quelle idée, sur un scénario digne de ce nom. (Note à moi-même: vider la boîte de courriels afin de faire de la place au sempiternel débat critique-grand public, film d'auteur-divertissement de masse.)

Avatar, un film visuellement splendide qui charrie à gros traits manichéens un discours écolomoralisateur d'un simplisme déconcertant, a profité du plus gros budget de l'histoire du cinéma (quelque 310 millions pour la production et environ 200 millions pour la mise en marché). Pari commercial risqué, mais réussi: ce film de science-fiction a déjà accumulé des recettes de plus de 1,6 milliard de dollars au box-office mondial, dont près de 500 millions en Amérique du Nord seulement, et est en voie de battre le record de Titanic.

Un tel engouement public peut-il être ignoré? C'est une question que se sont certainement posée plusieurs membres de la HFPA, en déficit de crédibilité depuis quelques années (ce que n'a pas manqué de souligner Ricky Gervais, le sourire toujours en coin). M'est avis que le succès phénoménal d'Avatar a influencé (pour ne pas dire embrouillé) le jugement des électeurs des Golden Globes, en cette période de marasme économique. Hollywood aime l'argent, et les gagnants.

La HFPA semblait, quoi qu'il en soit, très fière de s'être accordée avec le grand public dimanche. Toute la soirée, on racolait les téléspectateurs avant les pauses publicitaires avec des phrases du type: «Avatar obtiendra-t-il la récompense suprême? Vous le saurez bientôt.» Disons qu'on avait quelques indices du résultat à venir.

Lorsque j'ai entendu James Cameron remercier le public dans la langue des Na'vi (les habitants de sa planète inventée, Pandora), après avoir précisé qu'il s'était vidé la vessie, je me suis dit que les Trekkies avaient gagné la bataille, mais pas la guerre.

Il n'en fallait pas plus pour que la plupart des observateurs accordent déjà l'Oscar du meilleur film à Avatar. À ces oiseaux de malheur, je ferai remarquer ceci: les Golden Globes ne sont pas des indicateurs fiables des Oscars. Depuis cinq ans, la HFPA n'a été qu'une seule fois en phase avec l'Académie pour ce qui est du meilleur film (l'an dernier pour Slumdog Millionaire).

Les finalistes des Academy Awards seront connus le 2 février. La soirée des Oscars aura lieu le 7 mars. D'ici là, je vivrai dans l'espoir que le cinéma de l'esprit, pas seulement de l'image, ait encore un avenir. J'exagère à peine.

Les voix de Jacmel

Depuis le séisme qui a frappé Haïti il y a une semaine, Jacmel, capitale culturelle et quatrième ville du pays, a été coupée du monde, en attente de secours. La route qui mène à la capitale, 50 km plus loin, est difficilement praticable, selon différentes sources.

C'est à Jacmel que se trouve la seule école de cinéma d'Haïti, le Ciné Institute. L'édifice qui l'abrite a été complètement détruit. Mais dans les décombres, des étudiants ont pu récupérer une demi-douzaine de caméras intactes et de l'équipement de montage. Depuis, ils témoignent quotidiennement de l'horreur, avec des courts métrages durs, forcément touchants, montés avec les moyens du bord, et diffusés sur le site internet de l'école grâce au concours de bienfaiteurs new-yorkais.

«La ville de Jacmel est méconnaissable depuis le séisme et les étudiants du Ciné Institute rendent compte comme ils peuvent de la catastrophe. Nous couchons dans la rue. Deux de mes amis sont morts», raconte Olivier Divers sur le site www.cineinstitue.com. On peut y voir son reportage «Force Marie Jacmel», sur les efforts des survivants pour enterrer leurs morts. Le maire de Jacmel songe à creuser une fosse commune parce que le cimetière ne fournit plus. Des victimes restent coincées dans les décombres, en état de putréfaction. Des images crues, vraies, de cadavres gisant dans les rues. L'horreur.