Mesrine a enfin été épinglé. Il se cachait dans son repaire, bien tapi au milieu d'un désaccord contractuel entre La petite reine, la société française productrice du film, et le coproducteur québécois Remstar. Le litige serait pourtant réglé depuis déjà plusieurs mois, nous apprenait lundi l'ami Jean-Christophe Laurence. Or, on ne trouve dans nos tranchées nulle trace encore du célèbre gangster. Visiblement, le personnage est devenu encombrant au point où l'on ne semble plus trop savoir comment décider de son sort.

Dix-neuf mois après la première mondiale du premier volet du diptyque (L'instinct de mort) au Festival de Toronto; un an après le sacre de Vincent Cassel et du réalisateur Jean-François Richet aux Césars du cinéma français, la valeur marchande de Mesrine au Québec serait-elle aujourd'hui passablement dévaluée? Même si les films ont attiré plus de 4 millions de spectateurs dans l'Hexagone à l'automne 2008, quelque chose se serait-il abîmé dans le «transport et la manutention» en traversant l'Atlantique?

Si jamais le coproducteur québécois décidait de lancer néanmoins les deux longs métrages en salle maintenant (rien n'est certain à cet égard), il faudra alors tout refaire. La promo, la pub, les tirages de copies, l'exploitation. Pourra-t-on faire renaître auprès du public l'envie d'aller voir des films disparus abruptement de nos écrans radars depuis au moins un an? Dans un domaine où tout se transforme rapidement, où l'événement du jour est déjà surclassé le soir même par un autre, rien n'est acquis. Dans l'esprit de plusieurs cinéphiles québécois, Mesrine fait partie de l'histoire ancienne. Les plus impatients d'entre eux se sont déjà fait livrer légalement les DVD français; les autres ont carrément eu recours au téléchargement illégal. Il suffit de lire les commentaires sur les différents blogues de cinéma pour le constater. Cette pratique est empruntée sans aucun scrupule par des cinéphiles qui estiment être dans leur bon droit. D'autant que plusieurs films français dignes d'intérêt à leurs yeux sont ignorés par les distributeurs d'ici. Et s'ils sont repêchés, les délais entre les dates de sortie leur semblent alors carrément inacceptables. L'an dernier, les longs métrages français n'ont même pas atteint 4 % de parts de marché au Québec. Et ces chiffres incluent Taken...

Du coup, le système en prend pour son rhume. Le marché étant fragile, les distributeurs prennent moins de risques. Ces derniers - on peut les comprendre - ne tentent désormais plus d'obtenir les droits d'exploitation de films réalisés par de grands noms si la carrière française ne décolle pas. D'abord offerts à gros prix aux plus grandes sociétés de distribution, qui les refusent parce que présumés non rentables, ces titres seront alors remis au ballottage - à prix moindre - et offerts aux plus petits. D'où, souvent, ces délais de plusieurs mois. Un jour, nous verrons les plus récents films de Patrice Chéreau (Persécution), François Ozon (Le refuge) ou Christophe Honoré (Non ma fille tu n'iras pas danser). Quand? Et sur quelle plateforme? Nul ne saurait dire pour l'instant.

Faute de salles, plusieurs titres inédits - généralement acquis à la faveur d'une deuxième démarque - prennent aussi directement le chemin des chaînes spécialisées et du marché du DVD. La semaine dernière, j'ai été surpris de tomber en zappant sur La guerre des miss, le plus récent - et raté - film de Patrice Leconte. En avril, Super Écran présentera aussi en primeur, avant même sa sortie en DVD, Éden à l'ouest, le film que Costa-Gavras est venu présenter l'automne dernier au festival Cinémania.

Ce système à deux vitesses est-il appelé à survivre? Cela reste à voir. Avec les nouvelles technologies et la globalisation des marchés, le cinéphile sera de plus en plus en mesure de construire lui-même son propre répertoire. À la vitesse de son choix.

Les sept jours de l'Antéchrist!

J'ai fait partie des ardents défenseurs de Lars Von Trier et son Antichrist, d'autant que le film avait suscité sa bonne part de débats passionnés, sinon d'élans agressifs. Les scènes de violence et de mutilations, tant décriées, traduisaient à mes yeux le caractère délirant d'un cinéaste à l'esprit malade, dont la démarche était poussée jusqu'au bout, quoi qu'il advienne. Oui, il y avait des scènes insoutenables. Mais à partir du moment où un renard vient annoncer lui-même à l'écran que le «chaos règne», le récit bascule dans une autre réalité; une autre dimension. Tous les dérapages sont alors permis, l'auteur cinéaste y ajoutant même une touche d'humour désespéré.

La violence qu'on retrouve dans Les sept jours du talion est aussi sordide, aussi écoeurante que celle qu'on retrouvait dans Antichrist. À la différence qu'elle est présentée dans un contexte on ne peut plus réaliste. Cette séance de torture d'une durée de près deux heures - admirablement mise en scène par Podz - m'a laissé perplexe. Bien sûr, on pousse ici le réflexe de vengeance dans ses derniers retranchements en évoquant le pire drame qui soit: la mort d'un enfant dans un contexte violent. Le spectateur n'a d'autre choix que de se confronter à ses propres instincts primaires. Dans le dernier acte d'un récit jusque-là sans faille, on sent toutefois un peu trop l'astuce du scénariste (et auteur du roman). Qui, pour enfoncer son clou encore plus fort, imagine un épisode fortuit, superflu dans les circonstances. Plutôt que de me forcer à réfléchir à la question épineuse que soulève le récit, je suis finalement sorti de cette projection en tentant de trouver une traduction adéquate pour «How much is too much?». Est-ce que je regrette d'avoir vu ce film? Non. Est-ce que je le recommande? Non.

Suprême ironie

Le ruban blanc, Palme d'or du Festival de Cannes, prend enfin l'affiche aujourd'hui. Le grand film de Michael Haneke est établi favori dans la course pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère. Quand même ironique de constater que l'année où les académiciens sont plus que jamais déchirés entre l'art et le commerce pour les catégories de pointe, ils s'apprêtent à consacrer sans sourciller comme meilleur film étranger une oeuvre résolument austère et exigeante. Question d'équilibre?