Aide-toi et le ciel t'aidera. C'est pas moi qui le dis, c'est une vieille pub de pétrolière. L'Académie canadienne du cinéma et de la télévision a annoncé lundi les finalistes des 30e prix Génie, qui seront remis le 12 avril. Dans la foulée, elle a creusé davantage la tombe d'un gala qui intéresse autant le Canada anglais que le Québec (c'est-à-dire pas le moindrement).

La CBC a abandonné la couverture de l'équivalent canadien des Oscars (bruit de raclage de gorge) en 2003. Depuis, la soirée a été diffusée sous différents formats de plus en plus courts, sur des chaînes câblées de moins en moins accessibles. À un peu plus d'un mois de la cérémonie, on ne connaît toujours pas le télédiffuseur de ce 30e gala. Le canal VOX pourrait peut-être lui trouver une plage horaire, de nuit, entre deux épisodes du Confident...

Le cinéma canadien n'intéresse pas les Canadiens. Cela se traduit en chiffres: bon an, mal an, le cinéma canadien anglais n'accapare qu'environ 1 % des parts de marché au pays. Même chez les cinéphiles, il semble trouver un accueil plus chaleureux à l'étranger que «d'un océan à l'autre» (Guy Maddin est probablement plus apprécié à Paris que dans sa ville natale de Winnipeg).

Les cotes d'écoute faméliques du gala des prix Génie reflètent ce flagrant manque d'intérêt. Et les choix de ses finalistes en témoignent de manière tout aussi éloquente. Il ne fallait pas s'être beaucoup intéressé au cinéma canadien en 2009 pour décréter que la baudruche historique de Paul Gross, Passchendaele, était ce qui s'était fait de mieux de St. John's à Victoria.

Aussi, les candidats dévoilés lundi sont à l'image, souvent décalée, de la Soirée des Génie. Parfois bien cadrée, plus souvent d'un flou absolu.

On a fait grand cas, depuis le début de la semaine, de l'absence parmi les finalistes du succès surprise de 2009,J'ai tué ma mère, de Xavier Dolan. Avec raison. Le film n'est pas sans défaut, mais il méritait certainement mieux que la seule accolade du prix Claude-Jutra du meilleur premier film canadien.

Des détracteurs de cette tragicomédie et de son jeune cinéaste-acteur-producteur osent encore prétendre que le succès de J'ai tué ma mère n'est attribuable qu'à l'intérêt médiatique considérable qu'il a suscité. De toute évidence, J'ai tué ma mère n'aurait pas profité du même effet de curiosité si son cinéaste n'avait pas scénarisé son tout premier film à 17 ans, avant de le tourner et le produire pratiquement à compte d'auteur à 19 ans.

N'empêche que ce film étonnant, porté par un souffle, une fougue, et l'authentique regard de cinéaste de Xavier Dolan, artiste frondeur conscient de son talent, n'a pas cumulé un million de dollars aux guichets et remporté une quinzaine de prix dans des festivals internationaux (dont trois sur quatre à la Quinzaine des réalisateurs) parce qu'il a été soutenu aveuglément par une critique complaisante.

Césars

Samedi, J'ai tué ma mère était en lice pour le César du meilleur film étranger en compagnie d'un des grands favoris de la prochaine soirée des Oscars, Avatar de James Cameron, du lauréat de l'Oscar du meilleur film de 2009, Slumdog Millionaire de Danny Boyle, de la dernière Palme d'or, Le ruban blanc de Michael Haneke, de l'éventuel lauréat Gran Torino de Clint Eastwood, de l'excellent Milk de Gus Van Sant et de Panique au village des Belges Stéphane Audier et Vincent Patar. Excusez du peu.

Deux jours plus tard, le jury de l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision a déterminé que le film de Xavier Dolan ne méritait d'être cité dans aucune des 17 catégories récompensant les longs métrages de fiction canadiens. Aucune. Même s'il a été sélectionné pour représenter le Canada aux Oscars, même s'il a remporté le Prix du meilleur film canadien au dernier Festival du film de Vancouver et qu'il a été plébiscité par les associations de critiques partout au pays.

J'ai tué ma mère n'est pas le meilleur film canadien de l'année. Il n'est pas non plus, à mon sens, le meilleur film québécois de 2009. Sachant que les producteurs de La donation de Bernard Émond et de Dédé à travers les brumes de Jean-Philippe Duval ont préféré ne pas soumettre leurs films à ce concours de moins en moins pertinent, aurait-il dû compter parmi les cinq finalistes au Génie du meilleur film? Sans l'ombre d'un doute.

On me dira que tous les goûts sont dans la nature comme dans la noirceur d'une salle de cinéma. Soit. Je veux bien que l'appréciation de l'art soit subjective et que les compétitions déterminées par jurys soient imprévisibles. Il reste que certains critères de qualité, au cinéma comme ailleurs, restent objectifs.

La patineuse australienne qui a raté son programme long aux Jeux de Vancouver (cinq chutes minimum) ne s'est pas retrouvée sur le podium. Parmi les cinq finalistes au prix Génie du meilleur film, il y a l'équivalent de cette patineuse australienne. Un film, québécois, sans prétention mais terriblement bancal, retenu dans aucune des catégories à la soirée des Jutra. Comme J'ai tué ma mère à la soirée des Génies. Deux jurys, deux solitudes.