Ce n'est pas un duel aussi clairement défini que celui d'Avatar et The Hurt Locker aux Oscars. Pas de Golden Globes pour nourrir les aspirations de l'un, pas de prix d'associations professionnelles pour donner l'autre favori, des cinéastes qui ne sont pas des ex... 

Je parle du «duel» entre Polytechnique et J'ai tué ma mère, les deux favoris de la Soirée des Jutra. Je dis duel, mais il s'agit de pure spéculation. Un autre film pourrait remporter davantage de prix demain à la TOHU, où sera présenté le gala. Il reste que pour une majorité d'observateurs (j'en suis), dans les catégories de pointe, ça se jouera entre les films de Xavier Dolan et de Denis Villeneuve.

Un duel d'invention médiatique? Peut-être. Mais un duel qui se profile depuis mai dernier à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, où Polytechnique et J'ai tué ma mère ont été présentés à une journée d'intervalle.

Xavier Dolan, un jeune acteur méconnu n'ayant jamais réalisé le moindre court métrage, est arrivé sur la Croisette avec un premier film inédit en grande partie autobiographique, scénarisé à 17 ans et réalisé à 19 ans, pratiquement à compte d'auteur.

Denis Villeneuve, fort du succès critique et populaire de Polytechnique au Québec, a abandonné momentanément le tournage de son film Incendies, en Jordanie, afin de retrouver Cannes, 11 ans après Un 32 août sur Terre.

Pour le premier, une première sélection comme une révélation. Pour le second, une nouvelle sélection comme une confirmation.

Xavier Dolan a eu l'effet d'une tornade sur la Quinzaine des réalisateurs. Adopté d'emblée par un public enthousiaste, il est devenu la jeune coqueluche du festival, avec son assurance juvénile, son intelligence en ébullition, son sens du spectacle. Un poisson dans l'eau, avec des lunettes noires et un toupet frisé. Réaction à l'avenant des médias, avec les réserves d'usage: un premier film inspiré, de fulgurances et d'excès, pas sans défauts, mais diablement efficace.

Présenté la veille, Polytechnique n'a pas produit le même effet. Accueil favorable, mais plus poli, d'un public touché par la mise en scène d'un drame, mais beaucoup moins secoué par celui-ci qu'au Québec. Pour le public international, Polytechnique est un film sur une tuerie, comme Elephant de Gus Van Sant, auquel il a été invariablement comparé. Pour le public québécois, Polytechnique est un film sur un drame national. Ceci expliquant peut-être cela, ce film remarquable, brillamment réalisé et scénarisé, n'a pas eu l'écho qu'il méritait.

Au Québec, Polytechnique est considéré, par une majorité de critiques du moins, comme le meilleur film québécois de l'année. Alors qu'à l'étranger, en France en particulier, cet honneur revient probablement à J'ai tué ma mère.

Plébiscité à Cannes, puis un peu partout dans les festivals, J'ai tué ma mère a eu un rayonnement international exceptionnel. En point d'orgue, cette sélection, inespérée et sans doute exagérée, parmi les finalistes au César du meilleur film étranger.

Xavier Dolan a le talent brut et le front d'une jeunesse insouciante. Il est conscient de sa valeur, ce qui en choque plusieurs. Le succès de son film est évidemment indissociable de son propre parcours improbable. Mais J'ai tué ma mère est bien plus que ça. Un tour de force, aux dialogues d'une maturité ahurissante.

Denis Villeneuve est peut-être le plus accompli des réalisateurs québécois depuis Denys Arcand. Après un hiatus de près de 10 ans, de réflexion et de prise de conscience, c'est sur lui que les yeux sont tournés pour assurer la réputation du cinéma québécois. Il se retrouvera, plus tôt que tard, en compétition à Cannes, avec Incendies sinon avec un autre film. C'est une évidence.

Le jeune loup et le renard aguerri. Un duel (vrai ou faux?) à l'image de la vitalité de notre cinéma.