Ils sont plus de 400. Des cinéastes et artisans du milieu du cinéma, qui s'inquiètent d'un virage commercial de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) dans le financement du septième art.

Ils ont signé la pétition du collectif À tout prendre (du nom d'un célèbre film de Claude Jutra), intitulée «Les habits neuf de la SODEC», en réponse à des déclarations pour le moins maladroites de François Macerola. Le nouveau président de la SODEC a souhaité lors de sa première allocution publique, il y a un mois, que l'organisme se défasse de «son étiquette de film d'auteur» et ne laisse pas «les films rentables» à Téléfilm Canada.

Devant plusieurs dizaines de personnes réunies hier matin à la Cinémathèque québécoise, les porte-parole du mouvement, les cinéastes Céline Baril, Bernard Émond, Philippe Falardeau, Pascale Ferland, Sylvain L'Espérance, Catherine Martin, Annick Nantel et Nathalie Saint-Pierre, ont dénoncé les «choix idéologiques et politiques, à l'avantage de producteurs et distributeurs influents» faits par Téléfilm et la SODEC.

Ils ont insisté sur la nécessité de déboulonner le mythe de la rentabilité des films québécois (pratiquement aucun film québécois n'a fait de profit) en condamnant «ceux qui usent et abusent de cet argument démagogique pour justifier leurs politiques».

L'assemblée publique, qui s'est transformée par moments en procès in abstentia (certains y allant de doléances personnelles), a surtout été marquée par un cri du coeur éloquent de Bernard Émond, ayant pour objet de «dépasser la division entre cinéma commercial et cinéma d'auteur».

L'auteur de La neuvaine s'en est pris, avec raison, à la politique des enveloppes à la performance, «qui crée deux catégories de films». Les films financés grâce aux choix de jurys de la SODEC et de Téléfilm, et les films financés grâce à des enveloppes à la performance, remises de manière discrétionnaire à des producteurs dont le film précédent a été un succès au box-office.

Bernard Émond s'est aussi inquiété du projet de fond de nature commerciale proposé par François Macerola, sorte de partenariat public-privé destiné au «cinéma populaire», qui libérerait, selon la SODEC, des fonds pour le «cinéma d'auteur». Cela «créerait aussi deux catégories de films et exclurait les films jugés - mais jugés par qui? - non commerciaux», craint-il. Un véritable panier de crabes, en ce qui me concerne.

Tout en reconnaissant que le Québec ne peut se permettre un cinéma national qui exclurait un genre de films au profit d'un autre, Bernard Émond estime aussi qu'il «ne peut pas se permettre de mauvais films». «Nous avons à faire face à une urgence culturelle avec des moyens limités. À un moment où l'État peine à remplir ses missions, nous n'avons pas d'argent à jeter par les fenêtres», dit-il, avant d'ajouter: «Il y a une façon très sûre de favoriser la production de mauvais films. C'est de privilégier les impératifs commerciaux au détriment de la qualité.» En voilà un qui est lucide (au sens premier du terme).

Ce que craignent surtout les cinéastes québécois, c'est l'importation par la SODEC du modèle à deux vitesses de Téléfilm Canada, qu'a dirigé François Macerola à l'époque de l'élaboration des fameuses enveloppes à la performance.

En revanche, certains producteurs, qui défendent les enveloppes à la performance, se demandent s'il est préférable de laisser aux mains de fonctionnaires fédéraux et provinciaux le destin de notre cinématographie, plutôt que d'accorder ce privilège à des producteurs de métier. Ceux-là rappellent que d'excellents films - Tout est parfait et Les sept jours du talion, par exemple - ont été produits grâce aux enveloppes à la performance.

«Nous savons très bien que des films de qualité ont été financés par les enveloppes à la performance, leur répond Bernard Émond. Mais nous savons aussi qu'ils auraient été choisis par un comité de sélection si l'argent des enveloppes avait été disponible au sélectif (NDLR: le système des jurys).» C'est fort possible, les sommes allouées aux enveloppes comptant pour près de la moitié du financement disponible.

Le statu quo, tous semblent en être convaincus à commencer par François Macerola, n'est pas envisageable. Les sommes allouées au cinéma sont gelées, les budgets ne cessent d'augmenter et le nombre de cinéastes prêts à tourner aussi. Que faire? S'ouvrir au privé, comme le propose la SODEC? Favoriser des comités de pairs dans les institutions, afin que la voix des créateurs soit entendue, comme l'a suggéré hier le cinéaste Gabriel Pelletier?

Ce qui me semble évident, c'est que les solutions à deux poids, deux mesures n'ont pas leur place dans un système public subventionné à 100 %, où le grand succès au box-office n'est pas plus rentable que le film d'art confidentiel. Bernard Émond en appelle logiquement à une sélection qui favorise les oeuvres de qualité. Ce devrait aussi être, à mon sens, le seul critère valable. «Faire des films avec de l'argent public n'est pas un droit, ni pour les producteurs ni pour les cinéastes, dit-il. C'est une responsabilité.» En effet. Et un privilège.