Pendant toute la cérémonie d'ouverture du 63e Festival de Cannes, présentée avec élégance par Kristin Scott Thomas, un siège vide a été laissé sur scène de façon symbolique. On voulait ainsi souligner l'absence de Jafar Panahi. Invité à siéger au sein du jury cannois, le cinéaste iranien n'a évidemment pu accepter l'invitation. Il est détenu à Téhéran depuis maintenant deux mois dans on ne sait trop quelles conditions. La communauté cinématographique se mobilise. J'ai presque envie de dire: enfin!

Il me semble que la réaction a été un peu lente à venir. Cela dit, je comprends. La notoriété du réalisateur du Ballon blanc et de Offside ne dépasse pas celle du cercle des cinéphiles. Bien sûr, des dénonciations sont survenues au fil des semaines. La Berlinale a émis son communiqué. Puis, des cinéastes américains - Scorsese, Spielberg, Coppola, Coen, Stone et d'autres - ont fait circuler une pétition. Aujourd'hui, le gouvernement français, par la voix de ses ministres des Affaires étrangères Bernard Kouchner et de la Culture Frédéric Mitterrand, réclament officiellement la libération du cinéaste. Tim Burton, qui préside le jury cannois cette année, y est allé d'une déclaration en conférence de presse: «Les films devraient être universels, la liberté d'expression aussi.» Jafar Panahi, rappelons-le, est accusé par le ministère iranien de la Culture et de la Guidance d'avoir «préparé un film contre le régime portant sur les événements postélectoraux».

La dernière sortie internationale du cinéaste iranien remonte à l'an dernier. Panahi était venu à Montréal présider le jury du Festival des films du monde. Lors de la soirée d'ouverture, de nombreux sympathisants arboraient du vert, couleur symbolisant l'opposition au régime de Mahmoud Ahmadinejad.

Lors de notre rencontre, j'avais été touché par le courage de cet homme, même s'il n'aimait pas qu'on utilise ce mot. «Le vrai courage, m'avait-il alors dit, c'est celui dont font preuve tous ces protestataires anonymes qui, malgré le danger, n'hésitent pas à descendre dans la rue pour manifester leur opposition. De mon côté, la notoriété dont je dispose sur le plan international me confère une certaine immunité.»

Hélas, cette immunité aura été de courte durée. Et la voix de l'un des plus beaux fleurons de la nouvelle vague du cinéma iranien s'est tue. Parce que trop menaçante pour le régime en place. «Un film ne peut pas changer le monde, avait déclaré Jafar Panahi. Mais il peut aider à conscientiser, à faire réfléchir, à sensibiliser. À partir du moment où un spectateur entame une réflexion après la projection d'un film, le cinéma se révèle très utile.»

L'ignorance étant l'arme des faibles, voilà celle qu'a décidé d'utiliser le régime Ahmadinejad pour faire écran. «Mais le peuple n'est pas dupe, avait ajouté Panahi. Tôt ou tard, ce régime tombera.»

Qui veut signer?

Les pétitions sont à la mode sur la Croisette ces jours-ci. L'une d'entre elles fait particulièrement jaser. Il s'agit de la pétition en faveur de Roman Polanski, mise en ligne sur le site de la revue de Bernard-Henri Lévy, La Règle du jeu. Signée par des cinéastes «conscients de ce que le Festival de Cannes doit à ce grand absent (...), conscients de quelques règles de droit élémentaires telles que l'impossibilité de juger et de condamner un homme deux fois pour le même délit, conscients de ce que la demande d'extradition formulée par les États-Unis est fondée sur un mensonge», cette missive a recueilli de nombreuses signatures. Parmi lesquelles celles de Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Bertrand Tavernier, Xavier Beauvois, Olivier Assayas et bien d'autres. Quand le sujet a été évoqué au cours de la conférence de presse du jury, on aurait pu entendre une mouche voler tellement on sentait les panelistes jouer de prudence. On peut comprendre. À leur place, je ne m'en mêlerais même pas. J'ai toutefois très hâte de voir la suite du documentaire Roman Polanski: Wanted and Desired que la réalisatrice Marina Zenovich est présentement en train de tourner.

Débat public devancé

Et puisqu'on est dans la polémique, le cinéaste Rachid Bouchareb, dont le nouveau film Hors-la-loi fait «scandale» avant même qu'une seule image n'ait été vue, a tenté hier de calmer le jeu. Dans son nouveau drame historique, le réalisateur d'Indigènes évoque notamment les massacres commis par l'armée française en 1945 à Sétif. Bouchareb est bien entendu favorable au débat public, mais «après» les projections. Pas avant. «Il me paraît normal que certains puissent être en désaccord avec mon film, mais je souhaite que ce désaccord s'exprime dans un cadre pacifique et dans la sérénité du débat d'idées», a-t-il écrit dans une lettre envoyée au Festival. Cela n'est que juste mesure.

Enfin, hier, j'ai vu sur la Croisette un type arborer fièrement ce message sur son t-shirt: «I'm in Cannes, bitches!» Parlez-moi de la Cannes attitude.