C’est le dernier snobisme du cinéma: ne surtout pas dire que c’est un biopic, même si dans les faits, incontestablement, c’est un biopic (biopic, contraction de biographical picture, ou biographie filmée).


Question hypothétique au cinéaste: «C’est un biopic?». Réponse: «Surtout pas! C’est un film autour d’Untel, complètement déconstruit, onirique, avec des séquences d’animation et des personnages fictifs en costumes de mascottes en peluche. À la fin, on en oublie presque que l’on parle d’Untel, qui est d’ailleurs interprété par un chien.» Soupir.


On le constate depuis quelques années: ce besoin quasi maladif des scénaristes et cinéastes de s’éloigner par différents artifices du biopic traditionnel. On peut les comprendre. Le genre a été coincé dans le même carcan prédéfini si longtemps qu’il a fini par avoir très mauvaise réputation: tire-jus, racoleur, à l’eau de rose, linéaire, prévisible, conventionnel.
Certains ont réussi à transcender la biographie filmée, en cassant le moule convenu de l’hagiographie, avec audace et ingéniosité. Sauf qu’ils ont créé du même souffle, malgré eux, de nouvelles normes, développé de nouveaux maniérismes, imposé une nouvelle grammaire au genre. Si bien que le biopic revisité» se trouve à son tour stéréotypé dans un langage codé, qui privilégie la forme plutôt que le fond, l’esbroufe au détriment du sujet.


La maladie de la déconstruction biographique est du reste internationale, touchant autant l’Europe et les États-Unis que le Québec. Pour le meilleur et pour le pire.


On ne pourra accuser Luc Dionne (Aurore) de surfer sur cette vague. Son deuxième film, à l’affiche la semaine prochaine, L’enfant prodige, l’incroyable destinée d’André Mathieu, est un biopic tout ce qu’il y a de plus classique (sans mauvais jeu de mots). Aucune séquence de rêve sordide, pas d’alter ego fantaisiste ni de petit piano animé conseillant au petit André quelles notes jouer.


L’histoire peu banale du «Mozart canadien» est racontée de manière chronologique: de ses premières compositions à 4 ans, en passant par ses premiers concerts à 6 ans, ses triomphes parisien et new-yorkais, jusqu’à sa déchéance «dans l’enfer de l’alcool» à partir de 15 ans.

Classique «musicographie» d’un génie au destin tragique, que Rachmaninov avait désigné comme son successeur. André Mathieu est mort subitement à 39 ans, dans l’oubli. Fin. Générique.


On félicite Luc Dionne de ne pas avoir succombé pour la forme à la mode du biopic onirique. D’autant plus que son scénario, fluide et cohérent, met habilement en exergue la dépendance affective mutuelle d’André Mathieu et de ses parents musiciens, ainsi que la cruelle déception du virtuose de ne pas avoir été reconnu comme compositeur à la hauteur de son talent.


Sauf que la mise en scène du scénariste d’Omerta et de Bunker pèche par excès contraire. De facture télévisuelle, avec abus de fondus enchaînés et de titres de journaux superposés, la réalisation de Dionne multiplie les effets défraîchis et maladroits. Un voile sépia marque les images d’archives, campant les époques de manière trop appuyée, en brisant constamment le rythme du récit. À trop vouloir expliciter, on sacrifie au charme et, surtout, à l’émotion brute.


La reconstitution d’époque est pourtant crédible, comme du reste le jeu de la plupart des acteurs. Le regard fuyant de Patrick Drolet traduit à lui seul le mal-être d’André Mathieu, enfant prodige n’ayant pas su, comme tant d’autres, négocier le virage de la vie adulte. La mère envahissante et le père protecteur sont interprétés avec force subtilité par Macha Grenon et Marc Labrèche.


Sur le casting, toutefois, j’ai quelques réserves. De nombreux acteurs québécois ont été sollicités pour interpréter des Européens: Patrice Coquereau, Albert Millaire, Marc Béland, Lothaire Bluteau, etc. Mon bémol ne concerne pas la justesse de leur jeu mais le réalisme qui s’en dégage. L’illusion d’authenticité est plus complète au cinéma quand à Paris, on a l’impression de retrouver des Parisiens.


Aussi, sur une note toute personnelle, j’ai trouvé étrange de voir Catherine Trudeau dans le rôle de l’épouse d’André Mathieu après avoir vu le personnage de Richard, interprété par Patrick Drolet, s’enticher de celui de Lyne dans ma télésérie fétiche, Les invincibles.


Il reste qu’au-delà des considérations formelles - les intrigues sentimentales s’intègrent difficilement au récit -, L’enfant prodige atteint son principal objectif: celui de faire connaître l’oeuvre d’André Mathieu. La bande originale du film, interprétée par Alain Lefèvre, est un condensé de fulgurance et de virtuosité, qui donne certainement envie de découvrir la musique de Mathieu. C’est dans cette musique, émouvante, que le film de Luc Dionne trouve sa grâce et son salut.