Pendant 12 ans au petit écran puis au cinéma, nous avons vu Carrie Bradshaw, interprétée par Sarah Jessica Parker, défiler dans toutes les tenues possibles et imaginables. Depuis le baby doll jusqu'à la robe de mariée déjantée en passant par le hot pants fluo et la microjupe à froufrous, à paillettes ou à plumes d'autruche, il n'y a pas un morceau de vêtement extravagant que Carrie n'ait porté sauf peut-être une burqa.

Considérez que c'est désormais chose faite. Grâce à Sex and the City 2, qui arrive au cinéma cette semaine, Carrie portera la burqa. Ses amies, Samantha, Charlotte et Miranda aussi. L'espace d'une scène assez hilarante, les quatre filles disparaîtront sous un voile intégral histoire d'échapper à une bande d'Arabes en tuniques blanches qui menacent de les lapider dans un souk d'Abou Dhabi dans les Émirats arabes.

Comment les filles ont-elles fait pour se mettre dans pareille situation? En acceptant de séjourner gratos pendant une semaine dans les suites à 22 000 $ la nuit d'un palace d'Abou Dhabi à l'invitation d'un cheik chic qui espère, grâce à elles, se faire un brin de bonne publicité dans l'île de Manhattan.

Autant dire que le conte des Mille et Une Nuits ne tardera pas à se muer lentement mais sûrement en conte des mille et un ennuis avant de se terminer par un départ en catastrophe. C'est d'ailleurs à ce moment-là que le port de la burqa devient salutaire. Les filles ont fait un détour dans le souk où elles ont égaré un passeport. Samantha, qui est en pleine ménopause, en profite pour se taper une crise hormonale au milieu du souk, s'attirant les foudres des tuniques blanches.

Sauvées in extremis par des femmes voilées qui les recueillent dans leur antre, Carrie et ses amies découvrent que sous le voile, c'est un peu comme sous les pavés, la plage: les femmes voilées portent non seulement des dessous chics, mais des tenues chères signées, Dior, Gucci ou Chanel. C'est ce que la costumière du film a qualifié de rencontre du troisième type entre le clan Blahnik et le clan burqa.

Notez l'emploi du mot culture et notez l'absence du mot religion. Rien d'innocent là-dedans. Le scénariste et réalisateur Michael Patrick King a pris soin de tenir Carrie et ses amies loin de toute controverse religieuse et de tout commentaire dénonçant le voile intégral comme symbole de la soumission des femmes.

Le voile intégral des femmes d'Abou Dhabi est présenté ici comme une tradition culturelle, point. Ceux qui voudront accuser les filles de Sex and the City d'islamophobie devront se lever de bonne heure. Au plus, Carrie se permet-elle un air vaguement perplexe au restaurant en regardant une femme voilée manger laborieusement des frites en les faisant passer l'une après l'autre sous son voile comme autant d'objets de contrebande.

Pour avoir émis la pointe de l'ombre d'un jugement, Carrie sera d'ailleurs immédiatement rabrouée par Miranda, l'avocate devenue une apôtre enthousiaste du multiculturalisme. Le seul point de vue un brin critique viendra de l'incorrigible Samantha qui, malgré la ménopause, demeure la bombe sexuelle du groupe et qui par conséquent refuse de couvrir ses jambes, porte des décolletés vertigineux, échappe ses condoms en plein souk et ne se gêne pas pour faire un gros doigt d'honneur aux intégristes qui la mitraillent du regard. Yes!

On ne peut pas en demander plus de la part d'un film dont la marque de commerce est avant tout la légèreté et qui n'a pas la prétention de nous expliquer l'islam et ses dérives. En même temps, ce deuxième Sex and the City est nettement meilleur (et moins vide) que le premier, ne serait-ce que parce que les filles ne se contentent plus d'être des pétasses privilégiées qui ne foutent rien de leur 10 doigts sinon boire des Cosmos, s'acheter des godasses hors de prix, manger dans des restos branchés et se plaindre des hommes.

Sex and the City 1 était une longue infopub pour Louis Vuitton. Le placement de produit y était aussi abondant qu'obscène et nous invitait à rester le nez collé contre la vitrine de la vie riche, oisive et dorée de Carrie et ses amies. Avec ce deuxième volet, les filles sont revenues sur le trottoir avec le reste de l'humanité. Elles sont aux prises avec des problèmes auxquels la plupart des femmes peuvent s'identifier, même celles qui n'ont pas de garde-robe de la taille d'une cathédrale, ni 800 paires de Manolo Blahnik à y entreposer.

Des problèmes de ménopause, d'enfants braillards qui rendent fou, de maris qui regardent trop la télé, de patrons frustrants et de nannies aux seins libres et menaçants. Évidemment, à l'aune de la misère du monde, les problèmes de Carrie et de ses amies sont de petits problèmes de riches. Mais le simple fait de les mettre à l'écran, plutôt que dans des valises Louis Vuitton, est un pas dans la bonne direction.