Après avoir obtenu des documents en vertu de la loi sur l'accès à l'information, La Presse a fait écho plus tôt cette semaine à des rapports de lecture de scénarios, rédigés par des analystes de Téléfilm Canada. On y relevait notamment des commentaires parfois inélégants, formulés à propos de projets qui, plus tard, ont pourtant représenté de façon plus qu'honorable notre cinématographie sur la scène internationale.

Écriture ressemblant à celle «d'un téléroman de type Virginie», pouvait-on lire en marge de la lecture du scénario de Tout est parfait, à mon avis l'un des meilleurs films québécois de la dernière décennie (scénario de Guillaume Vigneault, réalisation d'Yves-Christian Fournier). «Aucune chance de se démarquer, tant sur les marchés internationaux que dans les festivals», renchérit-on à propos de J'ai tué ma mère de Xavier Dolan, dont les trophées glanés un peu partout dans le monde - parmi lesquels le Jutra du meilleur film - pourraient à eux seuls remplir au moins deux ou trois brouettes.

L'organisme subventionnaire fédéral a été l'objet de virulentes critiques ces derniers temps au Québec. Souvent à raison. La volonté de «rendement» - notion tout à fait irréaliste dans le contexte où évolue le cinéma d'ici - oriente en effet de façon flagrante les choix effectués dans le volet sélectif (environ 14 films de langue française bénéficient de ce soutien chaque année). Et la feuille de route ne se révèle guère reluisante à cet égard.

Pour toujours les Canadiens - accepté dès le premier dépôt malgré un mauvais scénario - restera un cas exemplaire pour des années à venir. D'autant qu'à côté, des films comme Polytechnique, Les sept jours du talion, Borderline, Tout est parfait ou J'ai tué ma mère n'ont jamais reçu l'aval du volet sélectif de l'organisme fédéral.

Alors? Incompétents, les lecteurs de Téléfilm? Problèmes de vision? On a tout entendu cette semaine. Or, la situation est peut-être un peu plus complexe qu'elle ne peut paraître au premier abord. Dans un monde où la création ne peut se mesurer en termes quantitatifs, ni selon des critères précis, on ne compte plus les chefs-d'oeuvre devant lesquels de grands éditeurs, de grands producteurs, de grands diffuseurs ont levé le nez pour ensuite s'en mordre les doigts jusqu'au sang.

Et puis, l'exercice de la lecture d'un scénario ne relève pas de l'évidence non plus. Au fil des ans, plusieurs acteurs - américains, européens ou québécois - m'ont souvent confié avoir eu parfois du mal à «bien» lire un scénario, surtout dans ces cas où la vision d'un cinéaste doté d'une forte personnalité ne se concrétise qu'au moment du tournage.

Au fil du processus créatif, plusieurs autres décideurs sont aussi appelés à se prononcer: producteur, distributeur, etc. Quand il a élaboré J'ai tué ma mère, Xavier Dolan avait l'appui du «major» québécois Films Séville, mais la société de distribution l'a largué en chemin, estimant que le film du jeune homme «ne correspondait plus à notre mandat» (une façon polie pour dire qu'on ne croyait plus du tout au film).

Chez Téléfilm, on a déploré évidemment le caractère «regrettable» des propos contenus dans quelques-uns des rapports évoqués par La Presse. On a rappelé pourtant du même souffle que ces commentaires, formulés par des analystes externes à qui l'organisme fait aussi appel, découlaient souvent d'une toute première lecture. Et s'inscrivaient dans le caractère évolutif d'un processus. Retournant à leur table de travail, les auteurs et réalisateurs sont alors invités à revenir pour déposer une nouvelle version.

D'aucuns vous diront alors que ce processus comporte tout de même un caractère pernicieux: il peut être tentant de «dénaturer» son projet afin de répondre aux critères exigés par l'organisme et obtenir du financement. Aussi, des cinéastes affirment qu'il arrive assez fréquemment que les commentaires formulés par les analystes de Téléfilm Canada et de la SODEC ne concordent pas. Dilemme.

Quelle est la solution? Bien malin celui qui pourrait arriver avec un système qui puisse satisfaire tout le monde. D'où cette option du «moins mauvais des pires systèmes», comme le soulignait le producteur Roger Frappier dans un dossier que La Presse a consacré au financement des films il y a quelques mois. En attendant, la subjectivité reste l'un des éléments avec lequel le milieu doit obligatoirement composer. Même si elle fausse parfois la donne complètement.

Chéreau en DVD

Le cinéma français est vraiment mis à mal au Québec. Nous apprenions hier que Métropole Films, une société dont le catalogue est très riche en productions internationales, avait acquis les droits de Persécution, le plus récent film de Patrice Chéreau. C'est une très bonne nouvelle. On déchante toutefois un peu quand on apprend que ce long métrage, dont les têtes d'affiche sont Romain Duris, Charlotte Gainsbourg et Jean-Hugues Anglade, sera lancé directement en DVD le 7 septembre.

Quand on en est rendus au point où les films d'un cinéaste aussi important - L'homme blessé, La reine Margot, Ceux qui m'aiment prendront le train, Intimacy, Gabrielle - ne trouvent même plus d'écrans chez nous, il y a vraiment tout lieu de s'inquiéter. Cela rappelle cruellement à quel point il est important d'agir - et vite - dans le dossier des salles vouées au cinéma autre qu'hollywoodien. Misère.