Le milieu du cinéma québécois a la controverse facile. Il suffit d'énoncer une évidence pour allumer le feu. La semaine dernière, Denis Villeneuve, dont le nouveau film, Incendies, a été bien accueilli hier à la Mostra de Venise, a déclaré que le Festival des films du monde n'existe plus sur la scène internationale. Qu'il a depuis longtemps perdu la bataille face au Festival de Toronto.

Villeneuve a dit ni plus ni moins ce que tout le monde sait depuis une dizaine d'années, à commencer par Serge Losique, qui a néanmoins protesté vivement, sans doute pour la forme. Il a beau dire que le FFM est «reconnu comme le plus grand festival indépendant de cinéma au monde» (par qui?), il n'est pas aveugle.

Un simple détour par le cinéma Impérial ces jours-ci suffit pour constater l'ampleur des dégâts. Et je ne parle pas du chantier de la rue Sainte-Catherine, qui a annihilé toute possibilité d'ambiance pendant ce 34e FFM. Je parle d'un festival qui, on l'oublie presque, a déjà compté sur l'échiquier du cinéma mondial. Un festival où des cinéastes de premier plan envoyaient leurs films, où le public pouvait croiser de grands auteurs et acteurs.

Aujourd'hui, le Festival des films du monde est en ruine. Je ne l'avais jamais autant constaté que cette année, la première où je couvre exhaustivement la compétition mondiale. Je fréquente le FFM depuis une vingtaine d'années. Je me souviens du plaisir que j'ai déjà éprouvé à construire un horaire parmi l'offre abondante de films attendus. Lointain souvenir.

Les films attendus ne viennent plus. Les cinéastes qui comptent non plus. Le FFM est devenu, à force d'entêtement, d'affrontements et d'isolement, un festival régional sans rayonnement, qui dessert un noyau vieillissant de cinéphiles indulgents. Les gens de ma génération, et je ne suis plus tout jeune, fréquentent peu sa compétition. Les plus jeunes, encore moins.

Il y a des conséquences à cela. Sans relève, un festival ne peut espérer survivre indéfiniment. Le public cinéphile de baby-boomers et de retraités qui tient le FFM à bout de bras est admirable, mais il a besoin de renfort. Les troupes sont clairsemées. Elle est loin, l'époque où l'on faisait la file pour un film qui avait créé l'événement, de l'Impérial jusque beaucoup plus loin dans la rue Sainte-Catherine.

Cette année plus que jamais, il n'y a pas d'ambiance au Festival, ce que n'aide en rien le chantier de la rue Sainte-Catherine, éteignoir de glamour s'il en est. Pas d'ambiance, pas de glamour, et peu d'invités de marque. Sergi Lopez, annoncé, n'est pas venu, pas plus que Jacques Doillon, rare cinéaste de réputation internationale sélectionné en compétition. On espère toujours l'arrivée, retardée, de Nathalie Baye, à qui le FFM rend hommage, et de Gérard Depardieu, allié stratégique de Serge Losique, qui doit donner une «classe de maître» lundi. Au Festival, les stars attendues font souvent faux bond.

Avec ou sans invités, on se contenterait bien sûr de films de qualité. C'est trop demander à cette compétition mondiale, dont le niveau général est d'une désolante médiocrité. Heureusement qu'il y a quelques titres, québécois notamment, pour sauver l'honneur. Car on a vu trop de films indignes d'une compétition internationale cette semaine.

Serge Losique se targue constamment de ses liens privilégiés avec l'Asie. Or, les deux films japonais présentés jusqu'à présent en compétition étaient lamentables. Ils n'étaient pas les seuls. Ce n'est rien pour accorder une quelconque crédibilité à la fameuse «catégorie A» du FFM, décernée par une association internationale de producteurs, à laquelle M. Losique s'accroche comme à une bouée (après l'avoir ridiculisée).

Pour tout dire, cette compétition mondiale manque cruellement d'auteurs. Elle fait défiler des oeuvres génériques, sans personnalité franche, à décourager même le plus tenace des cinéphiles. La dernière en date, The Land of the Astronauts, film américain de Carl Colpaert, qui flirte avec la série B, servi par des effets spéciaux navrants. Ce drame psychologique mettant en vedette David Arquette dans le rôle d'un compositeur de musique de films qui a tout perdu - sa fille aînée, sa famille et même sa tête -, aurait bénéficié de plus de subtilité.

On dira que, puisque les cinéastes préfèrent naturellement Toronto, Venise, voire Telluride à Montréal, le FFM doit faire avec les miettes du calendrier des festivals. Soit. Cela n'excuse pas pour autant l'absence évidente de direction artistique de ce festival, dont la seule constante semble être un goût certain pour des oeuvres académiques, d'un classicisme qui épouse les conventions d'une autre époque.

Le FFM a survécu contre vents et marées. Mais c'est un festival de naufragés, poussiéreux, enfermé dans une vision passéiste du cinéma. Qu'en restera-t-il dans 10 ans? Qui sait? L'avenir semble bien sombre.