Il n'a pas dit un mot sur Juliette Binoche, dont il a déclaré récemment qu'elle «n'était rien», mais Gérard Depardieu a fredonné du Bob Dylan, raconté des anecdotes de tournage et cassé un peu de sucre sur le dos de Jean-Luc Godard, hier, à l'occasion d'une amusante «leçon de cinéma» organisée dans le cadre du 34e Festival des films du monde.

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Claudiquant vers la scène, une canne à la main, le pied dans le plâtre des suites de multiples accidents de moto, Gérard Depardieu a été longuement ovationné par un public conquis d'avance à son arrivée au Cinéma Impérial, en milieu d'après-midi.

Fort d'une filmographie de quelque 150 titres et d'une silhouette de bon vivant amateur de plats en sauce, l'acteur français de 61 ans s'est prêté de bonne grâce, pendant 1 h 15, au jeu de la «classe de maître» dirigé par son ami Serge Losique.

En verve, loquace, fanfaron, sautant constamment du coq à l'âne avec une réelle envie de se raconter, Depardieu s'est révélé un conférencier échevelé mais efficace, multipliant les anecdotes, digressions et pointes d'humour, sans toujours répondre directement aux questions, pourtant pertinentes, de son interlocuteur.

On a ainsi appris que Michel Piccoli et Yves Montand «ne pouvaient pas se sentir» sur le tournage de Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet; que Claude Berri «adorait montrer sa quéquette dans ses films» et que Depardieu avait réclamé le même cachet que Robert De Niro (120 000 $), qu'il ne connaissait pas, pour le tournage de 1900 de Bernardo Bertolucci. «J'ai dit à mon agent: On est nés le même jour; on fait tout pareil...»

«Bob» avec qui il avait d'ailleurs eu à l'époque une conversation édifiante sur les aléas de l'érection sur un plateau de tournage. «C'est très difficile de bander à l'écran, mais pas d'être à poil», a-til confié, avant de se lancer dans une description détaillée d'une scène où il se tranchait l'appendice «à la Moulinex» dans un film de Marco Ferreri. «Aujourd'hui, tout est pornographique. Pas seulement les bites qui bandent.» Un thème récurrent dans les histoires parfois grivoises de mononcle Gérard...

Cette conversation très libre, sur le ton de la confidence, a été enrichie d'extraits de certains des plus grands films de l'acteur: Les valseuses de Bertrand Blier, qui l'a révélé en 1974, avec Dewaere et Miou-Miou, Le dernier métro de François Truffaut, avec Catherine Deneuve, Danton d'Andrzej Wajda, qui lui valu en 1983 un prix d'interprétation à Montréal, Camille Claudel de Bruno Nuytten, avec Isabelle Adjani...

«Ma vocation d'acteur s'est faite par amour de la vie et du verbe», a dit plus sérieusement le comédien, dont le père ne savait ni lire ni écrire. «Ce qui colore les mots, c'est le vécu des acteurs.» Michel Simon et Jean Gabin l'ont initié au métier d'acteur de cinéma («C'est un cours de cinéma que l'on n'apprend pas à l'école»), sa complicité avec des cinéastes en ont fait un monument du cinéma français.

Pialat, Blier, Truffaut... «J'ai eu avec François une très grande complicité. Je l 'ai surpris dans sa passion d'amour avec Fanny (Ardant). C'était véritablement un homme à femmes. (...) C'était un ami et c'est toujours un ami parce que ces gens qui sont partis, comme Maurice (Pialat), comme Guillaume (son fils), comme François, sont là tous les jours en moi.»

Il traite amicalement Francis Weber de «pervers» pour sa propension à reprendre des dizaines de fois les mêmes scènes, rend hommage à Alain Corneau, disparu la semaine dernière («C'était un passionné avec des douleurs secrètes que personne ne pouvait voir, qu'il cachait derrière son sourire»), confie aimer tourner en anglais parce qu'il ne comprend pas ses répliques...

Il réserve ses mots les plus durs pour Jean-Luc Godard, avec qui il a tourné Hélas pour moi en 1993. «Je ne sais pas si c'est un metteur en scène. C'est un professeur. Le bus a roulé sur ses couilles. Je lui ai dit alors je peux bien le répéter en public. Il y a quelque chose qui est pathétique et en même temps extrêmement intéressant. C'est toute l'ambiguïté du cinéma et des intellectuels. Jean-Luc ne sait pas écrire. Il le dit. Tous ses films sont pris dans sa soif de littérature.»

Toujours au sujet de Godard, il a cette phrase équivoque : «C'est quelqu'un qui a ses lettres de noblesse, qui a bien emmerdé le cinéma, et qui surtout a conforté les intellectuels dans une chose qui les rassure. Tant mieux pour eux.»

Arrivé la veille, Gérard Depardieu a quitté Montréal en fin d'après-midi. Un passage en coup de vent. Avant qu'il ne quitte la scène, Serge Losique lui a demandé, à brûle-pourpoint, s'il serait de retour, l'an prochain, pour le 35e anniversaire du FFM. «Oui», qu'il a répondu. Avec ou sans Juliette?