L'image du Phoenix qui renaît de ses cendres n'aura jamais aussi bien décrit ce qui arrive en ce moment à l'acteur Joaquin Phoenix. À une nuance près: sa renaissance est loin d'être assurée.

La raison est toute simple: le public n'aime pas se faire mener en bateau, n'aime pas être le dindon de la farce ni se faire raconter une chose et son contraire. Pourtant, c'est précisément le traitement qui lui est réservé dans le film I'm Still Here.

Pendant un an et demi, Casey Affleck, un acteur et scénariste qui n'avait jamais réalisé de film, nous a fait croire qu'il tournait un documentaire sur la déchéance de son beau-frère, l'acteur Joaquin Phoenix, qui ne joue pas ici son propre rôle, mais le rôle d'un acteur immature et égocentrique, qui se laisse pousser les cheveux, le barbe et le tour de taille, arrête de se laver, consomme un régime régulier de drogues, d'alcool et de putes et abandonne sa carrière au cinéma pour devenir un rappeur poche.

Délibérément, les deux ont laissé courir une certaine confusion sur le projet. Vrai? Pas vrai? Canular? Cinéma vérité? La semaine dernière, Casey Affleck a lui-même révélé le pot aux roses. Et il y a trois jours chez Letterman, la barbe rasée, les cheveux lisses, son corps à nouveau mince et cintré dans un complet BCBG, Joaquin est venu dissiper les derniers doutes qui flottaient dans l'air. I'm Still Here est un vrai film, mais tourné à la manière d'une téléréalité ou d'un docudrame. Tout était donc arrangé avec le gars des vues, sauf la scène assez dégoûtante où l'acteur vomit toute sa bile après avoir été humilié dans un club où il a performé comme un pied.

Pour le reste, I'm Still Here est une méditation assez juste sur la célébrité, sur la cruauté des médias qui dévorent les vedettes et les jettent en pâture au public, sur une société qui monte en épingle des idoles pour mieux les voir tomber du haut de leur piédestal et ultimement sur les vedettes elles-mêmes qui perdent le sens de la réalité et finissent par devenir des baudruches bouffies par le sentiment de leur importance.

Joaquin Phoenix joue redoutablement bien le rôle de l'acteur gâté, capricieux, chiant et narcissique qui traite ses assistants comme de la merde. N'empêche. Regarder ce film est un exercice pénible dont on émerge avec un malaise diffus et au moins une question. Pourquoi? Pourquoi se donner tout ce mal? Pourquoi hypothéquer la carrière et la réputation d'un acteur pendant un an et demi? Pourquoi jouer ainsi au chat et à la souris avec le public? Pourquoi, surtout, ne pas avoir fait un film de fiction sur le même sujet? La fiction a beau ne pas toujours dépasser la réalité, elle permet souvent de dire la vérité qui n'est pas disable, et encore moins montrable.

Si Joaquin Phoenix avait joué le rôle d'un jeune acteur déchu et fucké abandonné de tous et livré sans filet à ses pulsions suicidaires, on aurait très bien saisi le message et compris la critique d'un vedettariat qui vampirise ses sujets. On aurait été touchés autant, sinon plus, entre autres parce qu'on n'aurait pas passé toute la durée du film à se demander si ce qu'on regarde est authentique ou arrangé.

Mais surtout, on n'aurait pas eu l'impression d'être des voyeurs et des moins que rien, condamnés à regarder un homme se noyer sans pouvoir lui apporter la moindre assistance. Ce qui revient à dire que I'm Still Here est moins la dénonciation d'un système qu'une punition et une leçon de morale infligée au public qui n'en méritait pas tant.

Selon la légende, le Phoenix est un oiseau fabuleux qui vivait pendant des siècles et se brûlait lui-même avant de renaître de ses cendres. Pour l'instant, Joaquin Phoenix est ce bel oiseau qui s'est brûlé les ailes. Peut-être va-t-il un jour renaître, peut-être va-t-il mourir étouffé sous son tas de cendres.