Dans un petit marché comme le nôtre, il serait pratiquement impossible que deux films québécois obtiennent simultanément un grand succès public. Encore moins quand la popularité de l'un d'eux tourne au phénomène. Cette théorie - très étonnante - laisse ainsi entendre que le spectateur moyen compartimenterait ses choix. Un peu comme s'il tenait le cinéma québécois dans une catégorie à part, dont il pourrait se départir une fois son «quota» atteint.

Bien sûr, il n'en est rien dans la pratique. Un bon film reste un bon film, peu importe sa provenance. Or, il se trouve que plusieurs longs métrages québécois dignes d'intérêt sont présentement à l'affiche. Mais ils ne trouvent pas tous le chemin du succès.

Du coup, cette notion de «cohabitation impossible» entre des oeuvres de bonne qualité prend forme. Sur mon blogue, un intervenant travaillant dans un cinéma se réjouissait du succès d'Incendies en affirmant n'avoir jamais vu pareil succès québécois «avec ce type de film». «Ce qui me désole un peu, poursuit-il, c'est que le succès d'Incendies prend toute la place. Et les très bons films À l'origine d'un cri et Route 132 n'obtiendront pas le succès qu'ils méritent. Pourquoi avoir regroupé toutes ces sorties en l'espace d'un mois?»

Bonne question. D'autant qu'elle fait écho à la crise de croissance qu'a connue le cinéma québécois au cours de la dernière décennie. Jusqu'à maintenant, pas moins de 26 longs métrages de fiction québécois ont pris l'affiche en 2010. Avec Deux fois une femme, 10 1/2, Reste avec moi, Curling, Lance et compte, et L'appât, on dépassera la trentaine d'ici la fin de l'année. C'est énorme. Aucun autre pays de taille comparable ne produit autant. Trouver de «bonnes» dates de sortie constitue ainsi un vrai casse-tête pour les distributeurs qui, tacitement, ont conclu un pacte de «non-agression» quand vient le moment de mettre un film québécois à l'affiche. Parce qu'il en va de l'intérêt de leur industrie.

Avec une production de plus d'une trentaine de longs métrages par an (sans compter les documentaires), l'exercice devient passablement compliqué. Des chevauchements sont inévitables. Quand un film obtient un succès exceptionnel dont personne n'aurait pu deviner l'ampleur - c'est le cas d'Incendies -, un certain déséquilibre en découle. Le plan de match ne tient plus. Alors que les salles où est projeté l'excellent film de Denis Villeneuve ne désemplissent pas, les autres doivent se contenter d'un public plus confidentiel. La concentration de longs métrages présentement à l'affiche explorant des thèmes similaires - et sombres - n'aide pas les choses non plus.

«C'est vrai que la situation n'est pas idéale actuellement, reconnaissait hier Patrick Roy, le président et chef de la direction d'Alliance Vivafilm (Route 132). Au cours des dernières années, nous avions ouvert de nouveaux créneaux pour le cinéma d'auteur mais on dirait que cet automne, le hasard fait en sorte que plusieurs films s'adressant au même public prennent l'affiche à quelques semaines d'intervalle. Quand un succès inattendu se pointe, comme celui d'Incendies, il est habituellement déjà trop tard pour réagir et modifier les dates de sortie des films qui prennent l'affiche dans les semaines qui suivent. Cela fait partie du jeu.»

Le bassin de cinéphiles intéressés par des films de même nature n'étant pas énorme au Québec, le film devenu «incontournable» aura évidemment préséance. Et pourra peut-être, espère-t-on toujours, avoir un effet d'entraînement pour les autres. Incendies est un must, c'est entendu. On souhaiterait que son succès fasse aussi gagner des spectateurs aux films de Robin Aubert et Louis Bélanger. Mais est-ce vraiment possible?

Le film poêlé

Le poil de la bête, conçu pour attirer un large public, est un échec sans appel. Vous aurez beau tourner les chiffres dans tous les sens, ceux-ci révéleront une seule et même réalité: pratiquement personne n'est allé voir ce film. Ni ne l'a aimé. On ne s'acharnera pas sur ce truc déjà poêlé, mais je reste toujours abasourdi devant les techniques qu'empruntent certains stratèges pour tenter de nous faire croire le contraire. À une époque où le «consommateur» est plus averti que jamais (sans parler de la grande méfiance qu'il entretient déjà envers les médias), il est plutôt pathétique de crier quand même victoire dans une publicité («Le Québec adore!») et de reprendre des commentaires «élogieux» puisés à même les forums populaires, formulés par des anonymes dont personne ne connaît les accointances. En 2010, plus personne n'est dupe.