En empoisonnant la terre, l'agriculture industrielle empoisonne les gens. Ce cercle vicieux a les mêmes conséquences désastreuses partout dans le monde. C'est la thèse que défend la réalisatrice française Coline Serreau dans son nouveau film, Solutions locales pour un désordre global, qui sera présenté demain dans le cadre du Festival du nouveau cinéma avant de prendre l'affiche le 29 octobre.

Cette charge contre les multinationales de l'alimentation, doublée d'un plaidoyer en faveur de l'agriculture biologique, marque une rupture dans la filmographie de la cinéaste des succès populaires Trois hommes et un couffin et La crise, qui avait fait ses débuts dans le documentaire militant au milieu des années 70.

Seule, armée d'une caméra, Coline Serreau a consacré trois ans de sa vie à ce documentaire qui fait état d'initiatives d'agriculture alternative en Inde, au Maroc, en Ukraine, au Brésil comme en France. Filmé à la va comme je te pousse, son film de près de 2 heures (pour 172 heures de matériel tourné) donne la parole à de nombreux intervenants, scientifiques, agriculteurs qui ont choisi de faire les choses différemment.

«Le film s'est construit de manière organique, dit la cinéaste, que j'ai rencontrée cette semaine au quartier général du Festival du nouveau cinéma. Je n'avais pas nécessairement l'intention de faire un film au départ, mais une compilation, un catalogue de gens qui ont une autre pensée et que l'on n'entend pas dans les médias. Je voulais qu'il existe quelque chose sur ce qu'ils disent, ce qu'ils pensent.»

L'intérêt de Coline Serreau pour les questions environnementales ne date pas d'hier. Ses préoccupations écologiques trouvaient d'ailleurs un certain écho dans La belle verte (1996), comédie pourtant mal accueillie par la critique. «Je m'intéresse de façon générale aux sujets de société, dit-elle. Je suis une cinéaste politique, au sens profond du terme.»

La sortie française de Solutions locales pour un désordre global a été accompagnée de la publication d'un livre de Coline Serreau chez Actes Sud, qui reprend, de manière plus exhaustive, certaines des entrevues du film ainsi que des entretiens inédits. Dans la foulée, des débats ont été organisés dans plusieurs villes de France où la cinéaste accompagnait son film.

«Les salles étaient pleines, dit-elle. On a dû refuser jusqu'à 300 personnes dans certaines villes, et pas seulement des convertis. À la fin, il y avait de plus en plus d'agriculteurs qui travaillent de manière conventionnelle, mais qui lorgnent du côté du bio. Ce film ne les insulte pas, mais les respecte. On sent qu'il y a chez plusieurs un désir de passer à autre chose, parce que les terres sont malades et que le public veut du bio. On ne donne pas de leçons, on montre des trucs et les gens font ce qu'ils veulent après.»

Au-delà du «désordre global», démontré dans toute son étendue, le documentaire de Coline Serreau propose en effet quelques «solutions locales». À l'instar de cette coopérative brésilienne qui renouvelle les façons de faire de l'agriculture paysanne avec des engrais naturels, ou de cet agriculteur indien qui réussit, sur une petite terre, à faire pousser des fruits de qualité en quantité abondante en faisant le pari de la biodiversité.

Le film dénonce par ailleurs les méthodes de l'agriculture industrielle, mises au point pendant la Seconde Guerre mondiale, en rappelant que le gaz moutarde de l'époque a été transformé en pesticide et que les nitrates d'explosifs sont devenus des engrais commercialisés par les grandes sociétés pétrolières. «L'agriculture occidentale, c'est une agriculture de guerre», dit Dominique Guillet, fondateur de Kokopelli, association qui distribue des semences biologiques «d'origines anciennes», menacées de disparition en raison du quasi-monopole des multinationales de l'alimentation.

Selon un spécialiste interrogé par Coline Serreau, cinq multinationales agroalimentaires contrôleraient 75% de la semence potagère planétaire (en particulier le numéro un mondial, Monsanto). Ces multinationales éradiquent les variétés traditionnelles de semences et les remplacent par un minimum de variétés hybrides, dont elles possèdent les droits de commercialisation.

Par sa dénonciation de la destruction de la biodiversité, Solutions locales pour un désordre global fait inévitablement penser au documentaire américain Food Inc. On peut d'ailleurs lui reprocher une même tendance au manichéisme. Coline Serreau n'a pas cru opportun d'offrir de contrepoids à sa thèse... et ne s'en excuse pas le moindrement.

«Les multinationales ont toute la parole, tout le temps, dit-elle. J'ai 1h50 et je ne leur donne même pas une seconde. J'assume totalement. Ce n'est pas du tout un film objectif. C'est un film militant. On les connaît par coeur, leurs arguments: l'agriculture industrielle serait la seule à pouvoir nourrir le monde... Il y a quand même un milliard d'affamés! Leurs résultats sont nuls. Les agriculteurs sont malades et les hôpitaux sont bourrés de cancéreux. Il y a un problème quand même, non?»

Outre son parti pris bio, le film de Coline Serreau a également une forte couleur féministe, défendue notamment par Vandana Shiva, docteure en sciences, présidente d'une association de petits paysans indiens. Ses théories sur le féminisme et l'agriculture m'ont semblé moins convaincantes que le reste du propos du film, défendu par des gens éloquents tels Claude et Lydia Bourguignon, chercheurs au Laboratoire d'analyse microbiologique des sols, qui dénoncent avec humour les dérives de l'industrie (la création de tomates carrées plus faciles à ranger dans des caisses, par exemple).

Solutions locales pour un désordre global se termine malgré tout sur une note optimiste, avec cette idée que le consommateur a un réel pouvoir, celui de refuser ce qu'on lui propose. «Les multinationales sont des tigres en papier. C'est nous qui avons le dernier mot», croit Coline Serreau. Espérons qu'elle a raison.

Présenté demain à 16h30 au cinéma ONF