Il faisait bon revoir Romain Goupil dans les parages. De passage à Montréal, où son plus récent film, Les mains en l'air, fait l'objet d'une dernière représentation aujourd'hui au Festival du nouveau cinéma (à 13 h au Cinéma ONF), le «beau ténébreux» (c'est ainsi que son «beauf» le surnomme dans son film) fait partie de ceux qui osent prendre parole.

Quitte à ne pas toujours flatter l'intelligentsia dans le sens du poil. Pendant sa plus que décennie d'absence chez nous (son dernier passage au Québec remontait à 1999), le réalisateur d'À mort la mort! a notamment clamé haut et fort son profond désaccord sur la non-participation de la France à la guerre en Irak, position impopulaire s'il en fut une.

Ses films ayant toujours été associés à un militantisme de gauche et aux combats sociaux qui s'y rattachent, j'ai voulu discuter un peu avec l'auteur cinéaste français, histoire de voir si, en cette deuxième décennie du XXIe siècle, il reste encore une place pour ce cinéma qu'on dit «engagé». Or, Romain Goupil estime qu'on ne doit pas débattre d'enjeux politiques sur grand écran.

«Je disais déjà à l'époque de Mourir à 30 ans à quel point il est absurde d'élaborer un film comme une illustration d'un discours militant dans le seul but de tenter de convaincre des gens, dit-il. Cela devient de la propagande. Il n'existe alors plus aucun espace de réflexion car ce genre de film ne fait que prêcher aux convertis. Franchement, c'est inutile.»

Lui dont l'engagement citoyen remonte à l'adolescence, même un peu avant l'effervescence de Mai 68, préfère exposer une situation, établir un constat, plutôt que de théoriser. Et, par la même occasion, susciter peut-être une discussion parmi ceux qui auront choisi d'aller voir son film en toute liberté.

«Heureusement que le cinéma ne change rien! lance-t-il. À vrai dire, un mauvais film peut tout aussi bien engendrer des débats qu'un bon. Nous disposons d'une liberté d'expression, alors profitons-en! Personnellement, j'aime m'impliquer dans la discussion à travers des oeuvres contemporaines qui font écho à ce qui se passe autour de moi. J'ai confiance au dialogue qui s'établit entre un film et le spectateur. Mais il est certain que cela ne change pas le monde. Il ne faut pas trop se prendre au sérieux, quand même!»

Capacité de s'indigner

Ne pas se prendre au sérieux, d'accord. Mais conserver la capacité de s'indigner, ça oui. L'idée de ce Mains en l'air est d'ailleurs née il y a deux ans, alors que furent instaurées pour les «sans-papiers» des mesures d'expulsion qui n'avaient pas l'air d'émouvoir grand monde.

«Même auprès de mes copains ou de mes proches, c'était comme s'il s'agissait d'une chose inévitable. En faire le thème d'un film est déjà très mauvais signe à mon avis. On ne cesse de régresser. On a atteint le fond avec l'histoire des Roms cet été. Toute cette mobilisation sociale pendant tant d'années pour en arriver à ça, je trouve ça dur. Et désigner délinquante une communauté dans sa globalité, c'est carrément ignoble. Cela ne s'était pas vu depuis les années 40 en Europe. Nous vivons à une époque où règne une démagogie populiste, nourrie par les difficultés économiques. Plutôt que de trouver des solutions pour mieux répartir les richesses de façon équitable, on se sert des étrangers comme boucs émissaires et on choisit d'attaquer les plus faibles. Bien sûr que l'immigration est un vrai problème. Mais commençons d'abord par faire en sorte que l'aide destinée aux pays étrangers se rende aux personnes concernées plutôt que d'alimenter des régimes corrompus!»

Si Goupil dit s'inquiéter du fait que la majorité des peuples européens élisent des régimes de droite («J'y vois le signe d'un repli sur soi»), son film a quand même trouvé chez lui un écho qu'il n'attendait pas.

«Les mains en l'air est davantage un film qui porte sur l'enfance, à vrai dire. Et sur l'esprit de solidarité qui émerge dans une bande d'enfants à partir du moment où l'une des leurs est menacée d'expulsion. J'avais envie d'offrir le rôle d'une mère protectrice à Valeria Bruni Tedeschi depuis le tout début. Et elle était partante. Or, c'est à ce moment que sa soeur Carla a commencé à fréquenter le président. Valeria a tenu à faire le film quand même. Et je n'ai pu m'empêcher d'ironiser dès la première scène en faisant dire à la femme dont on raconte l'histoire qu'elle ne se rappelait plus l'identité du président en 2009!»

En 2010, le cinéma militant se ferait-il espiègle?