Le cinéaste Denis Côté présente demain, en clôture du 39e Festival du nouveau cinéma, son long métrage le plus abouti, Curling, mettant en vedette Emmanuel Bilodeau. Rencontre avec un personnage singulier du cinéma québécois.

Il a l’air d’un dur, Denis Côté. Grand garçon aux épaules larges, les bras tatoués, vêtu de noir, quincaillerie punk, les cheveux en brosse prématurément gris. On l’imaginerait volontiers videur de bar aux Foufs ou roadie d’un band de rock garage. Vestiges d’une ancienne vie de fan de death métal.

Né au Nouveau-Brunswick en 1973, élevé dès l’âge de 2 ans à Longueuil, Côté devient à l’adolescence fan de cinéma d’horreur international, filière gore de type Dario Argento. Après des études de cinéma au cégep Ahuntsic, où le «film déclencheur» s’intitule Teorema (de Pasolini), cet enfant de la VHS devient un authentique rat de Cinémathèque.

En 1999, à 25 ans, après avoir fait ses classes à la radio de CIBL, il est nommé chef de pupitre cinéma à l’hebdo Ici. Critique de cinéma redoutable, cinéphile érudit et exigeant, Denis Côté est le poil à gratter d’une industrie chatouilleuse. Il quitte le journalisme en 2005, après qu’on eut tenté de le museler. Un mal pour un bien.

Formé au court métrage, Denis Côté remporte la même année au Festival de Locarno un Léopard d’or (vidéo) pour Les états nordiques, son premier long métrage, tourné avec quelques dizaines de milliers de dollars seulement. Il accumule depuis les accolades, au Québec comme à l’étranger, pour ses longs métrages languides et inventifs, d’une grande rigueur formelle, alliant le naturalisme au cinéma de genre.

Allure anticonformiste, intégrité intransigeante, cinéma farouchement indépendant célébré par la bible du snobisme cinématographique, Les Cahiers du cinéma (près d’une page lui est consacrée dans le plus récent numéro), Denis Côté s’est rapidement forgé une réputation singulière dans le cinéma québécois. Celle d’un pur et dur.

«Je n’ai pas de mal à occuper cette place-là, dit-il. Être un peu à part et avoir la prétention d’apporter un vent frais, ça me convient. J’ai envie d’être une anomalie dans le décor et je le cultive. Je suis en constante réaction au cinéma québécois. Je sais que c’est lié à quelque chose d’un peu juvénile.»

Auréolé de deux prix de la mise en scène à Locarno (pour Elle veut le chaos en 2008 et Curling, cette année), sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes en 2009 (pour Carcasses), Denis Côté est devenu, aux yeux de certains exégètes, la figure de proue du «nouveau cinéma québécois». Un cinéma rigoureusement minimaliste, sans esbroufe, marqué par une inclination pour le silence et le plan large fixe. Un «mouvement» auquel on associe les Maxime Giroux (Demain, Jo pour Jonathan), Rafaël Ouellet (Derrière moi, New Denmark) et Stéphane Lafleur (Continental, un film sans fusil).

«Nous sommes surtout liés par une grande amitié, dit Côté, sans nier la parenté entre les œuvres de ces cinéastes trentenaires. On se respecte et on respecte nos films. Tranquillement, on va tous prendre des voies très différentes. Mais s’il y en a un qui ne réussit pas d’un point de vue commercial, j’ai l’impression que ce sera moi!»

Denis Côté le dit en riant, mi-figue, mi-raisin. S’il revendique son indépendance (il écrit, réalise et produit ses films), le cinéaste de 36 ans souhaite aussi rejoindre un plus large public, surtout avec Curling, qui est à la fois le plus abouti et le plus «classique» de ses films. Il a été déçu qu’Elle veut le chaos, produit avec un budget similaire (environ 1 million de dollars), n’attire pas davantage de cinéphiles il y a deux ans.

«Mon grand drame, dit-il, c’est de ne pas faire plus que 20 000$ au box-office. J’espère que Curling, qui a gagné deux prix à Locarno, dont un pour Emmanuel Bilodeau, pourra intéresser plus de gens. C’est un film plus humain. Je m’abandonne moins à des mouvements d’appareil. La mise en scène est rigoureuse mais fonctionnelle. La fin est lumineuse, il y a une petite fille, tout est placé pour que ce soit plus digestible. Des fois, pour déconner, je dis que je ne ferai jamais un film plus commercial que Curling. Profitez-en!»

Qu’il trouve ou non plus large public au Québec, Curling est déjà assuré d’une belle carrière à l’étranger: il a été programmé dans 31 festivals d’ici le mois d’avril. Ce n’est pas inhabituel pour un film de Denis Côté, chouchou du circuit festivalier qui, à force d’accompagner ses films à l’étranger (une dizaine de fois par année), est devenu un ambassadeur international du cinéma québécois, au grand plaisir de la SODEC et de Téléfilm Canada. À la fin du mois d’octobre, le Festival de Vienne présentera d’ailleurs une rétrospective de son œuvre.

Favori des festivals, mais pas de tous les publics, que le cinéma radical de Côté fait parfois réagir vivement. Après la présentation de Carcasses au Festival de Cannes l’an dernier, j’ai vu un cinéphile haranguer Denis Côté en conférence de presse en lui reprochant de lui avoir fait perdre 1h15 de sa vie avec ce film mettant en scène un collectionneur de vieilleries et une jeune bande de trisomiques.

«Disons que je ne suis pas fâché d’être moins en confrontation avec le public cette fois-ci. Jusqu’à mon prochain film!» Un long métrage que Denis Côté souhaite coproduire avec la France, mettant en vedette Marc-André Grondin, avec qui il a tourné le moyen métrage Les lignes ennemies, aussi présenté cette semaine au FNC et commandé par le prestigieux laboratoire numérique du Festival de Jeonju, en Corée.

«Le dimanche, je suis très content d’être le pur et dur, le marginal, mais le lundi, j’ai envie qu’une dame me prenne dans ses bras à l’épicerie, dit-il, conscient du paradoxe. Le mardi, je suis le gars des festivals que l’on respecte pour son intransigeance et sa liberté, et le mercredi, j’aimerais ça, signer un autographe sur le boulevard Saint-Laurent. Tu vois ce que je veux dire?»