Claude Lalonde est un homme plutôt heureux par les temps qui courent. Certainement davantage aujourd'hui qu'au cours des dernières semaines. L'auteur a grandement apprécié le travail de réalisation de Podz (Daniel Grou), d'autant que le scénario de 10 1/2 (à l'affiche aujourd'hui) revêt un caractère plus particulier à ses yeux. L'imposant gaillard s'est en effet inspiré de sa propre expérience d'éducateur en centre jeunesse pour coucher seul sur papier un script de nature forcément plus personnelle.

«Même si nous ne nous sommes pas entendus sur quelques points, très mineurs tout compte fait, il reste que Podz a tourné ce que j'ai écrit de façon presque intégrale, m'a raconté le scénariste un peu plus tôt cette semaine. Je crois qu'il s'enligne pour une très belle carrière de cinéaste. Pour un scénariste, il est difficile de confier le fruit de son travail à quelqu'un d'autre, surtout quand il s'agit d'un sujet plus intime. Mais cela fait partie du métier. Vient aussi un moment où l'on doit faire confiance à des gens de talent. C'est agréable quand tout se passe bien; moins quand ce n'est pas le cas.»

Ce «pas le cas» fait bien entendu écho à une expérience plus éprouvante. Et récente. Le 2 août dernier, Claude Lalonde a assisté au Cinéma Impérial à la grande première de Filière 13, un film coécrit avec son comparse Pierre Lamothe. Le tandem, rappelons-le, avait déjà signé le scénario des 3 p'tits cochons, aussi porté à l'écran par Patrick Huard. Mais ce soir-là, le coauteur n'a pas du tout aimé ce qu'il a vu.

Ne reconnaissant guère le script original, découvrant même des éléments qui ne sortaient de la plume ni de l'un ni de l'autre des coscénaristes, Claude Lalonde fut passablement décontenancé. Même s'il avait vu jusque-là des versions de travail qui, déjà, annonçaient une approche beaucoup plus humoristique, la surprise fut néanmoins grande. «Mais quand il est question d'humour et que tu as Patrick Huard devant toi, tu t'inclines», fait-il remarquer.

Or, Filière 13 ne devait pas au départ emprunter les allures d'une franche comédie. Au moment où le projet a obtenu le feu vert des institutions, Louis Choquette était aux commandes. Un travail en amont avait d'ailleurs été fait avec le réalisateur de La ligne brisée, mettant notamment à l'avant-plan cet élément de détresse psychologique masculine que contenait le récit à l'origine. Choquette a toutefois dû renoncer au film à cause d'un conflit d'horaire, le tournage de la série Mirador chevauchant celui de Filière 13. Au dire du scénariste, Patrick Huard est arrivé à la barre à la toute dernière minute.

«Je crois que Patrick n'a tout simplement pas aimé le scénario, indique Lalonde. Ce qui me dérange le plus dans sa vision, c'est que l'élément de détresse psychologique sur lequel était construit le récit a été évacué, un peu comme si le sujet ne l'intéressait pas. Peut-être s'est-il senti obligé de faire du Huard aussi, c'est-à-dire d'entraîner le film vers la comédie plus populaire.»

Ironie du sort, Patrick Huard a beaucoup insisté sur la notion de détresse masculine au cours de sa tournée médiatique, bien que cet aspect n'ait pratiquement plus été présent dans le produit final. La promotion du film étant principalement axée sur la «réunion» de l'équipe des 3 p'tits cochons, l'auteur y a aussi vu un malaise. Le projet n'avait pas du tout été écrit sous cet angle.

Aujourd'hui, Lalonde affirme avoir tiré sa leçon. Et s'organisera pour qu'une telle situation ne se reproduise plus. Cet épisode lui a notamment fait prendre conscience de la position fragile qu'occupent les scénaristes de films au Québec. Il compte en outre sensibiliser les gens du milieu afin que leur travail soit mieux reconnu.

«Je sais que je fais partie des privilégiés, lance-t-il. Au Québec, les scénaristes qui désirent travailler exclusivement pour le cinéma dépassent rarement le stade du premier ou du deuxième film. Contrairement aux producteurs ou aux réalisateurs, peu ont l'occasion d'en vivre.»

Paternité des oeuvres

Très bientôt, cet ardent cinéphile, nourri au cinéma de Bergman et à la comédie italienne des années 70, entend faire des représentations auprès de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC) afin que la paternité des oeuvres soit plus justement attribuée. «Quand un cinéaste est l'auteur de son film, ou qu'il a étroitement collaboré à l'écriture du script avec un scénariste, il est évident qu'il s'agit alors de son oeuvre, explique-t-il. Or, il est maintenant d'usage au Québec d'inscrire au générique «un film de» plutôt qu'«une réalisation de», et ce, même quand il s'agit d'un film dont le réalisateur n'a pas eu l'idée originale, ni même participé à l'écriture. C'est un non-sens.»

Ayant déjà quelques projets en chantier, dont un sur lequel il planche avec l'humoriste André Sauvé, Lalonde s'assurera désormais de travailler avec des cinéastes avec qui il peut développer une vraie collaboration.

«Ce fut le cas avec Podz, dit-il. Et ce fut aussi le cas avec Patrick à l'époque des 3 p'tits cochons. Le sujet était plus près de son univers, je crois. À mon avis, Filière 13 aurait pu être meilleur si le scénario n'avait pas été transformé. En fait, ma réflexion découle du fait que le travail des auteurs au cinéma n'a pas droit au même respect que celui des auteurs de théâtre, ou même de télé. C'est ce dont je me suis rendu compte dans toute cette histoire.»

Que disait Henri-Georges Clouzot avant que sa citation ne devienne un cliché? Ah oui: «Pour faire un film, premièrement une bonne histoire, deuxièmement une bonne histoire, troisièmement une bonne histoire.» Encore faut-il que les «fournisseurs de contenu» aient leur mot à dire.