Il y a de grands Woody Allen et de petits Woody Allen. Je l'ai dit souvent, je le répète: j'aime ses films, même les moins réussis. Amour inconditionnel voué à un artiste génial dont j'excuse les tics les plus agaçants.

Je ne suis pas le seul à préférer un Woody Allen raté à la majorité de films médiocres qui prennent l'affiche chaque semaine. Il en va de Woody Allen comme de George W. Bush: on est avec lui ou contre lui. Pour le meilleur et pour le pire. Parce que c'est Woody, et qu'il en reste toujours quelque chose à l'écran.

You Will Meet a Tall Dark Stranger, à l'affiche depuis hier, est un tout petit Woody. Tranche de vie londonienne de personnages en quête de bonheur, qui s'imaginent que la vie est plus douce chez la voisine (surtout lorsque cette voisine s'appelle Dia («lumière» en hindi) et qu'elle est interprétée par Freida Pinto, la belle de Slumdog Millionaire).

You Will Meet a Tall Dark Stranger est un film que l'on a l'impression d'avoir déjà vu. Parce qu'on l'a en quelque sorte déjà vu. La plupart des cinéastes, des plus aux moins doués, refont constamment le même film, sous des formes variées. À chacun sa marotte.

Depuis 40 ans qu'il tourne comme il respire (un film par année, peu ou prou), Woody Allen a exploré sous toutes ses coutures la thématique du mal de vivre de couples insatisfaits, avec son style inimitable en chassé-croisé, nourri d'un humour aussi cynique que spirituel. Narration omnisciente, dialogues verbeux, fin ironique: telle est la manière Woody Allen.

Parfois, le résultat est transcendant (Annie Hall, Manhattan, Hannah and Her Sisters...). Souvent, il ne l'est pas le moindrement (The Curse of the Jade Scorpion, Hollywood Ending, Scoop, etc.). La filmographie de Woody Allen ressemble à des montagnes russes vieille école, façon Parc Belmont, sans sommets vertigineux ni creux énormes. On sait généralement à quoi s'attendre et on y trouve d'ordinaire son compte (à condition d'être dans le camp des «alliés»).

Si l'on peut facilement retracer sa période d'état de grâce créatif à la dizaine d'années qui ont suivi Annie Hall (1977), Woody Allen n'a jamais cessé de sortir de jolis lapins de son chapeau haut de forme, de Husbands and Wives à Vicky Cristina Barcelona, en passant par Bullets Over Broadway, Mighty Aphrodite, Deconstructing Harry ou Match Point.

Un artisan du cinéma traçant son sillon, peaufinant l'art de la parabole cinématographique, avec chaque fois plus ou moins de succès, mais une constance sur la durée qui force le respect. Six fois nommé aux Oscars pour la meilleure réalisation (lauréat pour Annie Hall), 14 fois en lice pour l'Oscar du meilleur scénario original (qu'il a remporté pour Annie Hall et Hannah and Her Sisters), deux fois pour l'Oscar du meilleur film (qui a aussi consacré Annie Hall). Un parcours enviable.

Woody Allen aura 75 ans en décembre. Même ses plus grands fans reconnaissent que son cinéma de la dernière décennie a été moins inspiré, plus approximatif et caricatural. Comme son personnage d'intellectuel névrosé. Sans vouloir faire de l'âgisme, j'oserais dire que Woody radote de plus en plus. Son oeuvre s'enlise dans la redite, à un point tel que l'on peut facilement confondre les personnages d'un film avec ceux d'un autre.

Aussi, You Will Meet a Tall Dark Stranger, qui n'est pas sans charme, semble avoir été mis en scène de façon presque machinale, en dilettante, sans trop d'efforts. C'était l'impression laissée, du reste, par Whatever Works (plus drôle et burlesque) l'an dernier.

On ne s'étonne pas, dans les circonstances, que le cinéaste de Zelig et de Crimes and Misdemeanors trouve plus difficilement du financement aux États-Unis - ce qui explique entre autres qu'il tourne le plus souvent en Europe - et qu'un certain public cinéphile (la critique américaine, en particulier) semble s'être lassé de ses films.

Je ne suis pas du lot. Qu'importe s'il rate souvent le coche, que ses films soient imparfaits ou donnent l'impression d'être inachevés. J'aime le cinéma de Woody Allen, qui n'a jamais été un cinéma d'art et essai, mais un cinéma d'essais et erreurs.

Et même s'il ne devait jamais plus atteindre les sommets de son art, il restera toujours Manhattan. Cette scène vaporeuse, monochrome, avec Woody avec Diane Keaton sur un banc, au petit matin, contemplant le Queensboro Bridge au bord de l'East River.