Certains s'intéressent au cinéma pour les histoires qu'on y raconte. Je m'intéresse au cinéma, essentiellement, pour la manière dont on les raconte. Les intrigues les plus banales ont inspiré les plus grandes oeuvres.

L'histoire d'Aron Ralston n'est pas banale. Cet amateur de sports de plein air, de randonnée et d'alpinisme a failli perdre la vie en 2003 lorsqu'il s'est retrouvé coincé dans une crevasse, au beau milieu d'un désert montagneux de l'Utah. Il a dû se résoudre à s'amputer un bras immobilisé sous un rocher, avec des moyens de fortune, pour sauver sa peau... après 127 heures de «captivité».

L'épreuve d'Aron Ralston a été largement médiatisée. Le cinéaste britannique Danny Boyle (Trainspotting, Slumdog Millionaire) a décidé d'en faire un film, intitulé 127 Hours. Plusieurs ont accueilli la nouvelle avec scepticisme. Cette histoire peu banale ne risquait-elle pas de se traduire, ironiquement, en un film plutôt banal? Comment raconter de manière intéressante, au cinéma, les cinq jours de souffrance immobile d'un randonneur téméraire de 26 ans?

Je ne partage pas, de façon générale, ce genre d'appréhension. La nécessité est la mère de l'invention, disait Frank Zappa. Filmer un gars isolé dans un canyon avec une réserve minimale d'eau et de nourriture: voilà un défi stimulant pour un cinéaste.

Aussi, inspiré par la rumeur favorable des festival de Toronto et de Telluride, j'espérais, sans trop y croire, que Danny Boyle sache tirer de ce huis clos très particulier une oeuvre signifiante. Boyle est un talentueux croqueur d'images, capable comme on dit dans le jargon de «chauffer un kodak». Pas toujours pour le mieux, en ce qui me concerne.

Certains sujets commandent à mon sens une approche épurée. Un homme sans vivres, prisonnier d'un rocher pendant cinq jours, par exemple. Le parti pris de Danny Boyle est ici, comme ailleurs dans sa filmographie, aux antipodes du minimalisme. Chaque scène semble être prétexte à des effets de réalisation tape-à-l'oeil, à une surenchère de prouesses visuelles, de flash-backs, d'apparitions et de prémonitions, pour un résultat qui se résume à un seul terme: l'esbroufe.

Le film 127 Hours a des airs de fanfaronnade cinématographique n'ayant pour but que d'en mettre plein la vue. Comme si, craignant par-dessus tout l'ennui, le cinéaste avait tout fait pour détourner l'attention de la trame de son film. Combien d'artifices pour tenter de faire oublier que l'intrigue se déroule pour l'essentiel dans un seul lieu, en compagnie d'un seul personnage.

Trop, c'est comme pas assez, disait le poète. Bien des cinéastes et scénaristes auraient intérêt à adopter ce credo, à l'étranger comme au Québec. J'ai quelques exemples très récents en tête de longs métrages qui multiplient les pistes et s'égarent sans jamais retrouver leur chemin.

Bien sûr, les images de canyons mordorés baignant dans une lumière crue sont splendides. Le rythme est haletant, le jeu de James Franco fort crédible et l'ensemble divertissant. En un mot, 127 Hours est un film efficace. (Aparté: on dit d'un film qu'il est efficace comme on dit d'une fille qu'elle a une belle personnalité. Ce n'est pas nécessairement un compliment.)

Aux maniérismes de la réalisation, Danny Boyle - qui a coscénaristé le film avec son complice Simon Beaufoy d'après le livre d'Aron Ralston (Between a Rock And a Hard Place) - a malheureusement ajouté une chose tout aussi agaçante: la morale. Elle est surlignée huit fois plutôt qu'une, aussi subtilement que les autres éléments de cette orgie visuelle. Si l'on devait résumer la leçon: c'est un leurre de croire que l'on peut tout faire soi-même; il n'y a pas de honte à demander de l'aide. Entre ça et un essai de croissance personnelle en forme de «fait vécu» filmé...

Tous les goûts, évidemment, sont dans la nature. Chacun son truc. On ne le répétera jamais assez, de peur de froisser son prochain. C'est une des raisons pour lesquelles je préfère déclarer à quelle enseigne je loge. Le précédent film de Danny Boyle, Slumdog Millionaire, plébiscité par le public comme par la critique, a remporté l'Oscar du meilleur film en 2008. J'avais aussi été irrité par cette bluette cousue de fil blanc, sympathique et divertissante mais, à mon sens, péniblement lisse et caricaturale.

Si l'on juge par l'accueil réservé au film par la presse américaine, 127 Hours pourrait bien se tailler une place parmi les 10 finalistes à l'Oscar du meilleur film, en février. Un autre sujet de dispute en perspective...