C'est la «saison des Oscars». La période de l'année où les studios envoient dans les salles obscures leurs poulains les plus prometteurs, en espérant récolter des prix. Tout juste avant que les électeurs vieillissants de l'Académie aient à choisir parmi les centaines de films qui ont pris l'affiche depuis janvier. Parce que la mémoire, semble-t-il, est une faculté qui s'affaiblit après la Thanksgiving américaine.

Vendredi prochain, deux films réputés «oscarisables» prennent l'affiche au Québec: The King's Speech de Tom Hooper et Black Swan de Darren Aronofsky. La semaine dernière, au même rayon «For Your Consideration» (la fameuse formule utilisée par les studios pour attirer l'attention des électeurs), on trouvait 127 Hours de Danny Boyle.

On dit le plus grand bien de The Fighter, de David O. Russell, qui doit prendre l'affiche le 17 décembre, et de True Grit des frères Coen, en salle le 22 décembre chez nous. On verra. En attendant, je croise les doigts. Car si, parmi les 200 à 250 longs métrages de fiction que j'ai pu voir cette année, il y a forcément de bons films, en cette saison des Oscars, les perles rares se font... enfin, rares.

The King's Speech m'apparaît comme le candidat le plus probable, sinon le plus prévisible, à l'Oscar du meilleur film. Une oeuvre académique comme les chérit l'Académie (cela va de soi), d'un classicisme sobre et de bon goût, interprétée impeccablement par Colin Firth, Geoffrey Rush et Helena Bonham Carter, sur un thème qui, historiquement, a eu l'heur de plaire aux jurys des Oscars: la royauté britannique.

C'est l'histoire véridique (Oscar aime) de l'arrivée au pouvoir de George VI (Firth), après l'abdication du trône par son frère Édouard VIII et, surtout, de son combat contre le bégaiement. Pour s'en défaire, le père de la reine Élisabeth II a fait appel à un excentrique Australien (Rush) qui l'encouragera à se surpasser (Oscar aime, bis).

Morale: quand on veut, on peut. L'Académie raffole de ces films d'époque divertissants et émouvants, pétris d'humour, d'esprit et de bons sentiments, où une blague salace côtoie la déclamation d'une pièce de Shakespeare. Des ingrédients qui, combinés à une «condition préexistante» de succès populaire (prix du public au dernier Festival du film de Toronto), assure pratiquement à The King's Speech une place parmi les 10 finalistes à l'Oscar du meilleur film.

L'Académie voudra peut-être se montrer plus audacieuse. Auquel cas elle pourrait plébisciter Black Swan de Darren Aronofsky, film aussi tordu qu'esthétisant qui s'intéresse au milieu du ballet. Cette métaphore de la création doublée d'une mise en scène ingénieuse de la folie laisse le spectateur dubitatif, à départager le vrai du faux (dans la mesure du possible).

S'inspirant des personnages du Lac des cygnes de Tchaïkovski (Odette blanche, Odile noire), la caméra d'Aronofsky virevolte avec les danseurs et traque à l'épaule l'instable Nina (Nathalie Portman, excellente) dans sa vie quotidienne. Des éléments de film d'horreur créent une atmosphère anxiogène hors du commun, mais ce thriller psychologique, fort référentiel, souffre d'une surenchère formelle et d'un manque de subtilité.

La direction artistique, en particulier, ne laisse rien à l'imagination: le rose de l'enfance et le blanc de la pureté sont confrontés au noir de l'oppression et au rouge de la tentation. Plus Requiem for a Dream (dans l'excès) que The Wrestler, visuellement splendide mais d'un manichéisme appuyé (tous les clichés y passent), Black Swan reste une proposition étonnante. On regrettera que Darren Aronofsky ait cru devoir en faire autant.

Tout ça pour dire que la course aux Oscars est lancée, et reste grande ouverte. Jeudi, le National Board of Review, regroupement de critiques de cinéma américains, a parti le bal en affichant ses couleurs (qui s'agencent souvent avec celles de l'Académie).

Son meilleur film de 2010: The Social Network de David Fincher, qui a aussi remporté les prix du meilleur scénario et du meilleur acteur. Cette oeuvre divertissante, qui à mon sens manque de profondeur, devrait logiquement se retrouver parmi les finalistes à l'Oscar du meilleur film, qui sera remis le 27 février.

Les autres candidats probables? Je parie sur 127 Hours, malgré la propension de Danny Boyle à en faire trop lui aussi, Toy Story 3, du bonbon de film d'animation, et Inception, sans doute le film d'action le plus abouti de l'année, même s'il semble trop complexe, selon certains observateurs, pour rallier une majorité de votes des électeurs de l'Académie.

On aura beau dire que l'automne est la saison des Oscars, c'est au début de l'été, tout compte fait, que j'ai vu mon film américain préféré de l'année. Winter's Bone de Debra Granik, grand favori des prochains Independent Spirit Awards, est une oeuvre sombre et rugueuse, hyper réaliste, sur une adolescente (Jennifer Lawrence, lumineuse) qui tente de survivre après la disparition de son père, petit trafiquant de drogue, dans une région reculée et hostile du Missouri. En voilà une perle.