Pendant que le cinéaste Jafar Panahi n'a pas le droit de sortir de l'Iran ni de tourner pour 20 ans, son camarade Asghar Farhadi vient d'arriver à Berlin, avec sa femme, sa fille et son nouveau film: Nader et Simin, une séparation. Curieusement, en conférence de presse, personne n'a osé lui demander pourquoi lui, et pas Panahi. Ou mieux encore: quel est le secret pour faire des films en Iran sans subir les foudres des autorités?

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Cette subite pudeur de la presse internationale tient sans doute au talent incontestable du cinéaste iranien, gagnant de l'Ours d'argent de la meilleure réalisation en 2009 et qui, hier, a ébloui la critique avec son nouveau film. Nader et Simin n'a pas eu une naissance facile. Les autorités de la Culture ont interrompu le tournage, révoquant le visa officiel du film. Raison? Farhadi s'était désolé publiquement de la peine de prison imposée à Jafar Panahi en disant qu'il espérait voir les choses changer. Pas exactement une déclaration fracassante. Mais le gouvernement l'a mal pris et l'a puni avant de se raviser. On ne saura jamais à quels pieux mensonges le cinéaste a dû se livrer pour sauver son film. On ne peut que juger le produit final: un film captivant de deux heures, mené de main de maître par un cinéaste à la précision chirurgicale. Pourtant, Nader et Simin n'est pas un film d'action. C'est l'histoire d'un couple aisé, qui a une fille adolescente et qui divorce comme bon nombre d'Iraniens. Sa femme partie, Nader engage une aide domestique pour s'occuper du ménage et de son vieux père alzheimer. Stressé par son divorce, Nader maltraite la domestique qui est enceinte. Un jour, persuadé qu'elle lui a volé de l'argent, il la fout à la porte en la poussant. Elle fait une fausse couche et perd son bébé. Nader est bientôt accusé de meurtre. Raconté ainsi, on se croirait en plein téléroman. Mais ce film est trop riche pour être téléromanesque.

C'est un scanner brillant de la société iranienne d'aujourd'hui, tiraillée entre son désir de modernité et ses traditions, plombée par une bureaucratie judiciaire paralysante et par de vives tensions entre les classes sociales. À travers ce seul film, c'est toute une société qui nous apparaît dans toute sa complexité et tellement plus clairement qu'aux bulletins d'information.

Mais la question demeure. Pourquoi Farhadi a-t-il le droit de faire des films et pas Panahi? La réponse est apparue indirectement en conférence de presse. Interrogé sur le fait que ses personnages mentent, le cinéaste a répondu que le mensonge est une affaire bien relative.

«En Suède, si vous avez un cancer incurable, le médecin vous dira qu'il ne vous reste plus que quelques mois à vivre. En Iran, le médecin vous dira qu'avec l'aide de Dieu, vous allez guérir. Personnellement, je préfère la solution iranienne.» Mais que répondrait le médecin iranien à Jafar Panahi, condamné à six ans de prison et à 20 ans sans tourner de films? Je n'ai malheureusement pas eu la chance de poser la question.

Miranda July, la nouvelle Sofia Coppola?

Dire que The Future, le nouveau film de Miranda July, était attendu à la Berlinale est un euphémisme. Depuis que cette poupée de porcelaine déjantée, qui a eu 37 ans hier, a remporté la Caméra d'or à Cannes en 2005 avec Me and You and Everyone We Know, elle fait l'objet d'un culte, surtout chez les trentenaires, tendance hipster, dont elle a d'ailleurs toutes les caractéristiques: elle a grandi à Berkeley avec des parents profs et écrivains, vit à Portland en Oregon, performe, écrit, filme et sans doute, recycle, a épousé l'artiste multidisciplinaire Mike Mills. Bref, c'est un peu Sofia Coppola mais sans les valises Louis Vuitton. Comme Sofia, elle cherche à créer un nouveau langage au cinéma. Comme Sofia, elle a un penchant pour la banalité sublimée et pour des personnages moitié zombies, moitié somnambules, qui se demandent ce qu'ils vont faire dans la vie quand ils seront grands. Dans The Future, elle fait évoluer un couple de trentenaires paumés qui envisagent l'avenir avec effroi. Du moins surtout Sophie, interprétée par Miranda elle-même, et qui se pose la question suivante: pourquoi subir la peur de l'échec et les affres de la création quand on peut s'exiler dans une banlieue sous anesthésie et dormir dans des draps de coton de 240 fils avec un mari qui écoute de la musique d'ascenseur? La question a beau être pertinente, le résultat l'est un peu moins et frôle souvent l'ennui, même si Miranda a une imagination délirante, capable de suspendre le temps, de faire ramper des t-shirts et de faire parler un chat. Mais qui sait? Son film a été coproduit avec l'Allemagne. Des quatre femmes cinéastes de la compétition, elle est celle qui a le mieux saisi l'air du temps. Sofia a déjà gagné l'or à Venise. Ça serait dans l'ordre des choses que Miranda le remporte à Berlin.