Gus Van Sant a raté son avion pour Cannes. On avait rendez-vous en fin d'après-midi, hier. Je ne l'ai croisé qu'en fin de soirée. On ne s'est pas parlé. Dommage. J'avais des questions à lui poser.

J'ai bien aimé son dernier film, Restless, présenté hier à Un certain regard, une section parallèle de la sélection officielle. Étonnant de retrouver un récent lauréat de la Palme d'or (pour Elephant, en 2003) ailleurs qu'en compétition. Cela s'accompagne d'inévitables a priori.

Restless n'est certainement pas le plus grand film du cinéaste de Milk et de To Die For. Mais c'est une oeuvre qui s'inscrit logiquement dans sa filmographie, fascinante, valsant constamment entre le film commercial et le film d'art.

Ce film sur des ados - que Van Sant sait si bien mettre en scène - est en quelque sorte un compromis entre ces deux pôles. Il reste assez conventionnel dans sa forme - beaucoup plus que ne l'étaient Gerry, Last Days ou Paranoid Park -, mais porte bel et bien la griffe de son auteur.

C'est une oeuvre lumineuse et mélancolique, émouvante et attendrissante, sur le deuil, doublée d'une romance adolescente subtile, qui rappelle à certains égards Garden State ou encore Juno (sans l'humour grinçant).

Le jeune Enoch (Henry Hopper, fils du regretté Dennis, dans son premier rôle), un orphelin qui traîne dans des salons funéraires, y rencontre par hasard Annabel (Mia Wasikowska, l'Alice de Tim Burton), en phase terminale d'un cancer. Tous deux ont une fascination morbide - leur premier rendez-vous romantique a lieu à la morgue - à la Harold et Maude, mais c'est de la vie que traite surtout Van Sant.

Restless, qui s'égare un peu à mi-parcours, est un beau poème d'amour onirique sur la vie et la mort. Une oeuvre d'apparence légère, comme une feuille d'automne, qui voile dans sa candeur une profondeur philosophique.

Comme tous les films de Gus Van Sant, celui-ci est bercé par une trame musicale délicate et séduisante. Quelle est cette chanson apaisante qui rappelle du Yo La Tengo? Il y a du Elliott Smith, sans doute. The Shins? Possible. Pour célébrer Portland, la ville du cinéaste, où le film a été tourné. Si tu me lis, Gus, mon adresse courriel est au bas de cette chronique. J'attends tes réponses.

Promenade sur la Croisette

Gus Van Sant ayant raté son avion, j'ai pris une marche. Pour constater que loin des salles du Palais, la Croisette grouille de monde. On dit que la population de Cannes triple pendant le Festival.

Devant l'un des clubs privés en bordure de mer, le Nikki Club, des blondes aux jambes comme des cure-dents flirtaient avec des gars aux muscles disproportionnés. Tous semblaient être fraîchement diplômés d'un stage intensif de bronzage en cabine. Ils étaient accueillis, comme dans tous les clubs privés de la Croisette, affiliés ou pas aux grands hôtels, par des cerbères se prenant très au sérieux.

Des dames d'un certain âge, la norme cannoise, promenaient leurs petits chiens sur la Croisette. J'ai failli en piétiner deux ou trois sans m'en rendre compte. Des touristes en goguette, des gens d'affaires pressés par le Marché du film, des Cannois curieux: une faune bigarrée guettait, dans un méli-mélo de langues, la moindre apparition de vedette.

Je n'en ai pas vu, de vedette. Seulement des aspirantes starlettes, aux décolletés trop plongeants, et des m'as-tu-vu de toutes sortes, avec accès privilégié à l'Ultra V.I.P. Service de la Plage blanche. Genre. Tsé, quand t'es big...

Les palaces et les grands hôtels, qui réservent d'énormes espaces sous les chapiteaux sur la plage pour la restauration et les soirées, ont été complètement défigurés par les publicités de films des grands studios. Le joyau de Cannes, le Ritz-Carlton, est méconnaissable sous des couches d'affiches de Cowboys and Aliens et de Super 8, de banderoles à l'effigie des personnages de Pirates of the Carribean, ou montrent des voitures format nature de Cars. Entre les deux célèbres coupoles du Ritz, on a logé une hideuse publicité du film sur les Schtroumpfs (on écrit The Smurfs, dans le sud de la France). Même l'entrée rococo est dissimulée par une réclame vidéo du nouveau Transformers. Tant pis pour l'architecture Belle Époque.

Malgré le strass du Festival et le chic de la rue d'Antibes, Cannes n'échappe pas à la pollution visuelle qui enlaidit la plupart des stations balnéaires d'Europe. Le mauvais goût ne connaît pas de frontières.

Au loin, dans la baie, mouillent des yachts luxueux où se tiennent la nuit des soirées exclusives pour ceux qui ont leurs entrées. Nous, du commun, pouvons toujours traîner sur la plage, à la belle étoile, pour voir des classiques du cinéma. La série s'ouvrait hier avec 100 000 dollars au soleil d'Henri Verneuil. Eux les ont. Pas nous.

Haïr un film

C'est l'ami Lussier qui a l'honneur de vous rendre compte des films de la compétition. Quelques mots seulement pour vous dire comment j'ai haï, mais haï jusqu'à l'exaspération complète We Need to Talk About Kevin de Lynne Ramsey, d'après le roman de Lionel Shriver. Une mise en scène affectée, esthétisante, lourdement symbolique, sans la moindre subtilité. Un scénario simpliste et caricatural, au service d'une psychologie à deux cennes. J'ai souffert. Pas les autres. Les applaudissements ont été nourris au générique. J'ai crié «chou!», seul de ma gang. Ça m'a fait du bien.