Il ne s'agit pas de nier la réalité. Plusieurs études le confirment: moins on voit de gens qui fument, moins on a envie de fumer. Dans la rue comme au cinéma.

Et l'on voit de moins en moins de gens fumer. Entre 2005 et 2010, le nombre de films hollywoodiens contenant des scènes où des acteurs fument a diminué de façon marquée, selon une recherche publiée le mois dernier par les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC), une agence fédérale américaine.

Alors que le tiers des films les plus populaires au box-office nord-américain en 2005 ne comptait aucun fumeur, ce taux est passé à 55% en 2010. Au cours de la dernière décennie, le tabagisme chez les jeunes adolescents (de 11 à 14 ans) a aussi diminué, passant de 11 à 5%. Or, selon les CDC, près de la moitié des adolescents américains auraient fumé leur première cigarette après avoir vu des acteurs faire la même chose dans un film.

Il ne s'agit pas de nier la réalité (même s'il est toujours prudent de se méfier des statistiques). Sauf que lorsque je vois un organisme comme Smoke Free Movies militer agressivement pour une interdiction pure et simple de la cigarette au cinéma pour les moins de 18 ans, je me dis qu'il devrait aussi exister des mises en garde contre le zèle.

Ce lobby antitabac américain s'est payé une pleine page de publicité dans le dernier numéro du magazine Variety, la bible de l'industrie hollywoodienne. Il y reproche entre autres à Disney d'avoir mis un terme à sa traditionnelle politique antitabac en permettant que des personnages de The Help, campé au Mississippi au début des années 60, fument la cigarette.

«Si la cigarette est essentielle à votre film, vous devriez avoir le courage de lui décerner une cote R. Si la cigarette n'est pas si importante, pourquoi l'avoir intégrée à votre film?», demande Smoke Free Movies à l'ensemble des producteurs hollywoodiens.

Je ne suis pas fumeur, je n'ai jamais été fumeur et la fumée de cigarette, pour tout dire, me donne la nausée. Je suis en faveur des campagnes de prévention contre le tabagisme et je ne cherche d'aucune manière à minimiser les méfaits de la cigarette sur la santé. Mais comme dirait ma mère: pousse mais pousse égal!

Il se trouve que l'on fumait beaucoup dans le Mississippi au début des années 60. Aurait-il fallu que The Help, déjà taxé par la critique d'édulcorer la réalité des domestiques dans l'Amérique ségrégationniste, nie cette banale réalité? Pour que les adolescents du XXIe siècle en viennent éventuellement à oublier que la cigarette a aussi existé à une autre époque?

Je comprends qu'il soit nécessaire d'être vigilant afin de ne pas tolérer les abus. Mais lorsqu'on se permet, au nom du «bien», toutes sortes de distorsions politiquement correctes, sous prétexte de protéger les gens d'eux-mêmes, il me semble que l'on n'est plus dans la prévention. On est dans le prosélytisme, pour ne pas dire la censure et le révisionnisme historique.

Malheureusement, les Américains ne sont pas les seuls à vouloir se servir du septième art pour leur propagande antitabac. Au Québec, le Conseil québécois sur le tabac et la santé remet annuellement ses prix Cendriers aux films qui ne se soucient guère d'écraser leurs mégots avant d'être diffusés. Les amours imaginaires de Xavier Dolan compte parmi les plus récents lauréats.

Lucky Luke mâchouille un brin de paille plutôt qu'une cigarette, Jacques Tati ne fume plus la pipe, et pendant ce temps, on diffuse sur certaines compagnies aériennes, pour un public de tous âges, des films aussi violents qu'Unknown, avec Liam Neeson qui trucide un tueur à gages à coups de débris de verre. On n'arrête pas le progrès.

«Tapette»

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR) vient de retrouver la raison. Huit mois trop tard. En janvier, jugeant une plainte d'une auditrice d'une station rock de Terre-Neuve, le CCNR avait déterminé que l'utilisation du mot «faggot» («tapette») dans la chanson Money for Nothing de Dire Straits était «désobligeante» et avait exigé que la pièce soit censurée ou retirée des ondes radiophoniques canadiennes.

Le CRTC, réagissant au tollé, avait demandé dans la foulée au Conseil de revoir sa décision. Hier, le CCNR a en quelque sorte fait amende honorable. Il maintient que le terme «faggot» est «inapproprié» pour les ondes radiophoniques canadiennes, mais qu'étant donné le contexte de son utilisation «satirique» dans Money for Nothing, il appartient à chaque chaîne de radio de décider ou non de diffuser ce titre de 1985.

M'est avis que le Conseil aurait dû maintenir son interdiction de diffusion. Pas pour le mot «faggot», mais pour ce riff aussi célèbre qu'insupportable. Je préfère cent fois le Mark Knopfler de Sultans of Swing.

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