C'est un très beau film. Fin, parfaitement rythmé, ne craignant pas les silences et les temps morts. Une oeuvre de spleen et de solitude, centrée sur un personnage fascinant, interprété avec une extrême subtilité par Gilbert Sicotte.

Précédé d'une réputation enviable depuis sa présentation en première mondiale au dernier Festival de Sundance, Le vendeur, premier long métrage de Sébastien Pilote, ne déçoit pas. Il happe. Il émeut. Il plonge dans le froid d'un stationnement enneigé, dans la pénombre d'une maison sans vie, au coeur d'une petite ville ébranlée par la fermeture d'une usine de pâtes et papiers.

Un film dur comme l'hiver, que nos cinéastes ne se risquent pas assez à filmer, qui enveloppe de sa mélancolie cette histoire d'un homme dans la dernière ligne droite de la vie. Employé modèle, champion toutes catégories de la vente automobile, défini par son travail, égaré sans lui.

Le vendeur compte parmi les films les plus aboutis que nous ait offerts cette année le cinéma québécois. Malheureusement - et c'est une prévision que je souhaite erronée -, il risque d'être peu vu hors des cercles cinéphiles. Parce qu'il porte les stigmates du film d'auteur québécois archétypal: la lenteur, la grisaille, la détresse.

Parce qu'il traite du quotidien ordinaire d'un homme ordinaire de manière si authentique et réaliste que le spectateur «en quête d'évasion» craindra de ne pas y trouver son compte. Parce que l'automne, le vrai, est arrivé. Et que la vedette de ce film n'est ni Adam Sandler ni le soleil.

L'ami Lussier a bien résumé la situation en sortant de la projection de presse du film, cette semaine. «Encore un film qui sera encensé par la critique et que le public va trouver ennuyeux. Quantité de courriels nous attendent.»

C'est notre destin. Marc-André parle d'expérience. Il en a vu d'autres. Et il a sans doute raison. Les quatre étoiles qu'il vient d'accorder au film de Sébastien Pilote seront contestées par certains de ses lecteurs. «Pourquoi m'avez-vous suggéré un film aussi plate?», diront-ils.

Parce que le cinéma n'est pas seulement un médium d'évasion, d'histoires inventées et d'univers fantastiques. Pas seulement un divertissement d'une heure et demie mettant en scène une belle femme, d'abord récalcitrante, et un bel homme un peu rugueux, dont l'idylle improbable est gâchée à 1h12 par un ridicule quiproquo avant l'inévitable réconciliation.

Le cinéma, c'est parfois aussi un miroir que nous tend un artiste, pour mieux comprendre le monde, le vrai, dans lequel nous vivons. Un monde où ceux qui n'ont pas une taille de mannequin ont le droit d'exister, où tous ne vivent pas dans des appartements de luxe ou sur une planète lointaine, lointaine, dans une autre galaxie. Un monde où les gens ont des jobs qui ne les passionnent pas toujours, des problèmes banals, des soucis financiers, une hypothèque à payer et où, parfois, ben oui, il pleut.

Je le constate de plus en plus, bien des spectateurs n'ont pas envie qu'on leur tende ce miroir. De voir cette réalité en face. Pour toutes sortes de raisons qui leur appartiennent. Certains n'aiment pas l'image sans fard qui y est reflétée, la trouvent trop glauque et déprimante. D'autres ont tellement été nourris à la formule hollywoodienne qu'ils ont développé une allergie aux autres manières de raconter une histoire au cinéma. Alors ils refusent de voir certains films, que les critiques, plus volontiers attirés par un cinéma réaliste - on n'élucidera pas ici ce mystère -, leur conseillent de manière enthousiaste.

Pourtant, les cinéastes, loin de les snober, n'aimeraient rien de plus que de les compter parmi leurs alliés. «On a toujours l'immense fantasme que notre film va plaire à tout le monde, me disait la semaine dernière le cinéaste français Cédric Kahn. Parce qu'on veut plaire aux plus exigeants comme aux plus naïfs. On veut plaire aux cinéphiles et on veut plaire au grand public. On veut avoir des bonnes critiques, mais on veut faire des entrées. On est tous dans ce paradoxe. Celui qui vous dit qu'il ne l'est pas ment ou se ment.»

Peut-on se lasser de prêcher dans le désert? Sans doute. On n'en est heureusement pas là. Parce que dans ce désert, il reste toujours d'irréductibles cinéphiles souhaitant apprécier les cadres saisissants du cinéma de Denis Côté ou la langueur ironique de celui de Stéphane Lafleur (auquel s'apparente, du moins dans l'esprit, le film de Sébastien Pilote). Des aventuriers du septième art qui ne trouvent pas trop rébarbatif un ovni comme l'intrigant Laurentie de Simon Lavoie et Mathieu Denis, porté courageusement, avec une force tranquille, par Emmanuel Schwartz.

Comme une oasis salvatrice, surgit de temps à autre un succès-surprise du cinéma d'auteur. Un film d'exception qui ratisse plus large et nous encourage, les critiques, à poursuivre notre travail. Un Incendies de Denis Villeneuve, capable de rallier des spectateurs de tous les horizons. Un Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau, qui a cumulé, en deux semaines, près de 800 000$ aux guichets. Des exceptions qui confirment la règle, certes. Mais qui ont le mérite d'exister.

Et alors on se plaît à rêver que des pépites de cinéma pur, comme ce Vendeur de Sébastien Pilote, trouvent un public à leur juste mesure, en défiant tous nos sombres pronostics.