J'aime les listes. Je n'y peux rien, c'est comme ça. Lancez-moi la première pierre, vous de la caste de ceux qui n'en peuvent plus des listes. C'est vrai qu'il y en a beaucoup. C'est la saison.

J'aime tellement les listes (celles de David Letterman entre autres) que j'aime même les listes de listes, les répertoires de listes, le «Top 10 Everything» du magazine Time, les livres de listes, comme L'Encyclopédie capricieuse du tout et du rien de Charles Dantzig (Grasset).

Sa «Liste d'Orson Welles qui ne sert à rien» et sa «Liste des plus jolies scènes de danse du cinéma»: Sophia Loren dansant un cha-cha-cha en liquette dans C'est arrivé à Naples de Melville Shalvelson (1960) ou Anita Ekberg dans le mambo de La dolce vita de Fellini (la même année).

J'aime en particulier sa «Liste des films pour lesquels je préserverais la dernière salle du monde»: Citizen Kane d'Orson Welles (1941), Annie Hall de Woody Allen (1977), The Deer Hunter de Michael Cimino (1978). Ou encore sa «Liste des films sur le cinéma»: Sunset Boulevard de Billy Wilder (1950), Bellissima de Luchino Visconti (1951), Singing' in the Rain de Stanley Donen et Gene Kelly (1952), La signora senza camelie de Michelangelo Antonioni (1953)...

Dans ma propre liste, il y aurait 8 1/2 de Fellini, La nuit américaine de Truffaut et Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore, qui est loin d'être un chef-d'oeuvre, mais que j'ai découvert avec beaucoup d'émotion et d'émerveillement, à 15 ans, un après-midi de semaine alors que je faisais l'école buissonnière. Oui, avec beaucoup d'émotion et d'émerveillement. Je suis un garçon comme ça.

Un collègue me demandait cette semaine de lui suggérer trois ou quatre titres parmi mes films préférés de tous les temps. Question sérieuse, intime, que je ne saurais traiter avec légèreté. Les films que l'on aime nous définissent. Ils ont forgé notre vision du monde.

J'y ai réfléchi un moment et trop de réponses se sont bousculées dans ma tête. Alors j'ai cessé de réfléchir et j'ai répondu, spontanément, In the Mood for Love de Wong Kar-waï (pour l'élégance de la mise en scène), La graine et le mulet d'Abdellatif Kechiche (pour la justesse du propos), The Shining de Stanley Kubrick (pour la vision du cinéma) et Les bons débarras de Francis Mankiewicz (pour les mots de Ducharme). En précisant à mon collègue: «Dépendant de l'heure du jour, cette liste pourrait bien sûr changer...» On n'est jamais trop prudent.

J'aurais pu répondre, à 14h, La dolce vita de Fellini, À bout de souffle de Godard, Ma nuit chez Maud de Rohmer ou Slap Shot de George Roy Hill (en version québécoise). Ou à 22h: Happiness de Todd Solondz, Breaking the Waves de Lars von Trier, Le goût des autres d'Agnès Jaoui ou Mean Streets de Scorsese. À 9h: The Godfather de Coppola, Les quatre cents coups de Truffaut, Rox et Rouky de Disney, Caché de Michael Haneke.

À 16h: Manhattan de Woody Allen, Star Wars: The Empire Strikes Back d'Irvin Kershner, 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu. À minuit: Un prophète de Jacques Audiard, La moitié gauche du frigo de Philippe Falardeau, I Don't Want to Sleep Alone de Tsai Ming-liang, ou bien d'autre chose encore.

Le même jour, justement, je posais les dernières virgules à la liste de mes 10 films préférés de 2011 (qui sera publiée samedi prochain, ainsi que celle de l'ami Lussier). Chaque année, depuis que j'ai été embauché comme critique de cinéma dans ces pages en 1999, je m'astreins (oui, m'astreins, c'est une tâche) à cet exercice particulier de classification de mes films favoris des 12 derniers mois, dans l'ordre habituel.

Des heures de tergiversation (le «mot de l'année» selon Time) au terme desquelles je suis invariablement insatisfait. Je n'aurais pas dû, j'ai surévalué, j'ai oublié, je n'aurais pas dû écarter, que je me dis par la suite, pendant des semaines, parfaitement conscient de l'importance démesurée que j'accorde à cet exercice que d'autres considèrent comme futile.

C'est que, voyez-vous, j'aime les listes. Même celles, comme dit Charles Dantzig, qui ne servent à rien. Et ce que j'aime par-dessus tout, ce sont les listes de fin d'année. Les listes de livres, de disques, de spectacles, de films. Elles me permettent de me rendre compte de tout ce que j'ai raté et que je peux rattraper. Ce qui me donne un peu le vertige. Les centaines de disques, les dizaines de livres, ces pièces de théâtre dont on ne peut être certain de la reprise. Et ce show de Bon Iver que j'ai failli aller voir... Quand on voit 200 films par année, on a l'impression d'avoir tout vu ce qui compte. Ce n'est jamais le cas.

J'aime les listes de fin d'année pour les découvertes que j'y fais, avec mon retard habituel de six à huit mois sur la plupart des spécialistes. Mais j'aime aussi les listes pour pouvoir les contester. Pour pouvoir haranguer leurs auteurs, seul dans mon salon. Pour dire à l'un: «Voyons donc, Melancholia dans ton top 10! C'est du Lars von Trier poseur, réchauffé et paresseux.» Ou à l'autre: «S'cuse, je pense que t'as oublié The Tree of Life. Où avais-tu la tête?»

Et je rédige des listes pour ceux qui comme moi aiment les listes, en espérant faire découvrir, aimer ou haïr des films. C'est tellement plus stimulant que de rester indifférent.