Ils étaient quelques dizaines d'artistes entassés au studio Piccolo, hier matin, dans l'Est de la ville. Ils espèrent être 75 au final, pour la symbolique. Réunis, autour d'une chanson, pour souligner les 75 ans de l'Union des artistes.

Le projet s'intitule «Artiste, quoi qu'on en pense». Et la chanson, signée Élyse Aussant et Alain Leblanc: On dit. OEuvre collective à la We Are The World - ou son pendant québécois de l'époque, Les yeux de la faim - mettant à profit les talents vocaux d'une large palette d'artistes connus et moins connus, de Marie-Denise Pelletier à Marie-Élaine Thibert, en passant par Claude Robinson, Richard Séguin ou encore Dan Bigras.

Artiste, quoi qu'on en pense... La phrase fait réfléchir. Elle est au coeur du refrain de cette pièce aux accents fleur bleue, créée pour «célébrer l'artiste» et «souligner d'une manière positive et festive l'importance des artistes et de la culture pour notre société».

«On dit que je questionne ma société/et que j'insuffle dans vos pensées/tous nos désirs de liberté. Je suis artiste, quoi qu'on en pense/J'espère que j'arriverai à m'envoler/Faudrait que le vent souffle en revanche/sur l'amour que j'ai à donner...»

On dit aussi que je suis un assisté social de luxe qui ne représente qu'une minorité privilégiée, que je siphonne des subventions pour propager mes lubies gauchistes et que je devrais me taire parce que je suis un crisse de séparatiste.

Non, ce n'est pas le prochain couplet. Mais il s'y trouve en filigrane. Car on dit aussi ces «choses-là» sur les artistes. De plus en plus, il me semble, chez ceux, nombreux, que le discours souvent idéaliste des artistes exaspère et irrite (même à l'extérieur de la ville de Québec).

«C'est vrai que ce sont des préjugés que l'on entend de plus en plus, me confirme Raymond Legault, président de l'Union des artistes. Surtout depuis les premières coupes du gouvernement conservateur et la réaction des artistes.»

Le Québec a beau aimer ses «vedettes» - assez pour nourrir les pages de bien des magazines -, l'artiste n'a pas toujours bonne réputation. Ils sont nombreux à faire entendre leur voix dans les pages d'opinion, les tribunes téléphoniques et les déversoirs de fiel que sont devenus les médias sociaux, en reprochant aux chanteurs, cinéastes et autres comédiens de prendre la parole sur la place publique. Surtout lorsqu'il est question d'enjeux de société aussi polarisés que la hausse des droits de scolarité.

Est-ce qu'On dit, qui laisse entendre que les artistes se sentent parfois mal-aimés, tente de réaffirmer le droit des artistes de clamer haut et fort leur engagement social et politique?

Raymond Legault, qui participait aux choeurs hier, ne croit pas qu'il s'agisse de son message explicite, même si bien des interprétations sont possibles. «C'est une chanson qui célèbre l'artiste. Et qui encourage les artistes à s'approprier leur statut. Mais je crois aussi que l'artiste a le rôle, la responsabilité et le devoir de s'exprimer. Ce n'est pas parce qu'il reçoit de l'argent de l'État qu'il devrait se taire. Ce n'est pas recevable comme argument.»

Ce n'est pas non plus parce qu'il a une tribune médiatique que l'artiste devrait se taire. Au contraire. C'est vrai que les artistes dérangent. Quand ils arrivent sur scène, dans les galas ou les talk-shows, avec leur carré rouge à la boutonnière, leur discours anti-conservateur ou leurs revendications environnementales. Tant mieux.

Notre société trop souvent apathique a besoin d'être bousculée. Elle a besoin de la sensibilité de ses artistes, de leur poésie, de leurs coups de gueule et de leurs accès de colère, pour se remettre en question. Elle a besoin d'être provoquée par ces «pelleteux de nuages». Les prêchi-prêcha comme les radicaux. Par ceux qui prônent le bien commun comme par ceux qui dénoncent et qui accusent.

L'artiste, comme citoyen dont la parole a une portée, ne devrait pas avoir à se taire devant la logique comptable des tenants du gros bon sens. Il ne devrait pas avoir à souffrir la langue de bois, vernie par les spécialistes des relations publiques, des politiciens qui disent «boycott» plutôt que «grève», en se gargarisant de leur trouvaille sémantique.

L'artiste devrait pouvoir s'insurger, au nom de tous ceux qui s'insurgent. Quand un étudiant sans histoire est plongé dans le coma et perd un oeil. Et qu'un autre repose entre la vie et la mort sur un lit d'hôpital. Parce qu'ils réclament l'accès pour tous, sans distinction, à l'éducation.

L'artiste ne devrait jamais se taire quand des actes indécents lui commandent ne pas le faire. L'injustice. La disproportion dans l'usage de la force. L'absence de compassion d'un gouvernement irresponsable, éclaboussé par les scandales, qui a laissé les choses dégénérer. Et qui se permet de faire la leçon, avec arrogance et légèreté, sans prendre un instant pour reconnaître l'ampleur de la tragédie.

L'artiste devrait pouvoir pleurer de rage. Parce qu'un jeune homme a failli mourir pour ses idées. Il n'avait pas de grenade à la main. Il ne brandissait que ses mots, ses idéaux, son indignation. Devant pareil drame, artiste ou pas, on ne devrait jamais se taire.