Une chance qu'il y avait Stéphane Archambault, de Mes Aïeux, pour dire les choses franchement. En y ajoutant l'élégance.

Comme bien d'autres téléspectateurs du gala de l'ADISQ, dimanche, je me suis demandé de quelle façon, par quelle grossière erreur comptable et quel invraisemblable détournement de sens Mes Aïeux avait pu être couronné «groupe de l'année» 2010.

Le groupe de folklore québécois n'a pas fait paraître d'album depuis La ligne orange en 2008, n'a pas fait de tournée au Québec depuis 2009 et n'a pas de spectacle prévu à son calendrier depuis des mois. Le légendaire décalage de dates de l'ADISQ ne peut tout expliquer...

Il a fallu Stéphane Archambault pour éclairer notre lanterne. En vrai gentleman, authentiquement surpris, voire embêté par ce nouveau Félix (le deuxième en deux ans dans la même catégorie), le chanteur a précisé qu'il s'agissait d'un prix remis par le public. Public qu'il a remercié chaleureusement avant d'ajouter, avec une franchise qui l'honore, que, d'après lui, Karkwa aurait mérité les honneurs.

Le groupe de Louis-Jean Cormier, excusez du peu, a publié cette année un disque (Les chemins de verre, Félix de l'album alternatif), donné une abondance de spectacles et remporté le prestigieux prix Polaris du meilleur album canadien de l'année. Quelle idée! Il aurait mieux fait, selon la logique tordue du gala de l'ADISQ, de prendre une année sabbatique, sinon de proposer ses services gratis comme orchestre d'accompagnement du party d'Halloween d'Occupation double. Mes Aïeux aurait mordu la poussière.

Le discours contrit de Stéphane Archambault fut le moment le plus absurde d'un gala qui l'est de plus en plus, depuis que l'ADISQ pratique une forme volontairement floue d'hybridation du scrutin. Vote d'un jury professionnel par-ci, vote du public par-là, sans distinction claire au moment de remettre les prix (combien de gens savaient que le groupe de l'année est choisi par scrutin populaire?).

Ce n'était pas «l'année» de Mes Aïeux. Ses membres sont les premiers à le reconnaître. Est-il souhaitable, dans un gala censé récompenser l'excellence de la production musicale québécoise de la dernière année, que l'on sacre des artistes pratiquement inactifs, sous prétexte qu'ils ont un plus grand bassin de fans que les autres?

Certainement pas si, du point de vue des organisateurs et du diffuseur (Radio-Canada), l'on espère conserver un minimum de crédibilité (à ne pas confondre avec une hausse des cotes d'écoute).

Il y a quelques années, j'exagère à peine, Isabelle Boulay aurait pu remporter le Félix de l'interprète de l'année même si elle avait été en congé de maternité dans une jungle tahitienne, sans avoir chanté la moindre note ni enregistré la moindre nouvelle chanson depuis 15 mois.

L'équipe de promotion de la lauréate de ce même Félix dimanche, Marie-Mai (fort méritante, là n'est pas la question), a encouragé avec beaucoup d'insistance depuis des semaines, par l'entremise de Facebook, ses nombreux fans à voter pour elle. «Un vote par jour par courriel est comptabilisé», y précisait-on.

C'est de bonne guerre dans les circonstances, je ne dis pas le contraire. Je n'ai rien contre les concours de popularité, à condition qu'ils s'affichent clairement comme tels. Le gala Artis de TVA (ex-MetroStar) n'a jamais prétendu récompenser la qualité. Il souligne la popularité des vedettes de la télévision (les deux termes, qualité et popularité, n'étant évidemment pas antinomiques).

Le gala de l'ADISQ, en revanche, se targue d'être «l'événement télévisuel le plus prestigieux dans le domaine des variétés au Québec». Or, afin de ne froisser personne et de ne pas passer pour élitiste, afin de s'assurer de voir gagner des vedettes et de gonfler sa cote d'écoute, il compromet sa crédibilité en bradant certains prix à ceux qui ont le plus d'amis virtuels. Sans se soucier de savoir si ces «électeurs» connaissent d'autres candidats ou oeuvres en lice. Au plus populaire la poche.

Je les entends, les soi-disant «près-du-peuple», ces démagos infantilisants, hérauts opportunistes de l'anti-intellectualisme, brandir l'argument massue des «bien-pensants qui veulent vous dicter vos choix». Pas ça pantoute, big.

Dirait-on de l'Oscar du meilleur film qu'il est prestigieux s'il était remis par vote populaire à Twilight 3: Eclipse? Me semble. On devrait arrêter de répéter, comme l'a fait l'animateur Louis-José Houde dimanche, que le Félix de la chanson populaire de l'année est «prestigieux», même s'il s'agit du clou de la soirée. C'est de la fausse représentation.

Bien sûr, il n'y a rien de grave, docteur. On jase là, comme dirait l'autre. D'un gala qui, à mon sens, se discrédite en voulant ratisser trop large. Et qui risque, à force d'incohérence, de complètement perdre son identité.