Il n'y a pas un écrivain français qui suscite autant la controverse, pas un écrivain français qui soit plus adulé ou honni aujourd'hui, en France comme à l'étranger, que Michel Houellebecq. Parce qu'il est insaisissable, froidement provocateur, sans scrupules ni états d'âme. Et que sa plume, sans esbroufe, est brillante, glaciale, précise comme un scalpel.

Il ne faut pas confondre Houellebecq, l'auteur, avec le narrateur et les personnages de ses romans. N'empêche qu'à force de phrases lapidaires sur des sujets dits «délicats», on ne sait plus au juste si c'est Houellebecq ou l'un de ses alter ego qui a déclaré par exemple que «la religion la plus con, c'est quand même l'islam».

Qu'importe. Michel Houellebecq est bien davantage que le polémiste apathique, le misanthrope cynique ou le moraliste réactionnaire que certains prétendent avoir démasqué dans ses écrits. Houellebecq est un véritable écrivain.

Il est aussi l'un des principaux personnages de La carte et le territoire, son cinquième roman, le plus abouti de l'avis général de la critique depuis Les particules élémentaires. Un personnage assassiné sauvagement, littéralement taillé en pièces, aux deux tiers du récit. Une mort atroce que l'auteur semble avoir imaginée avec un malin plaisir, comme du reste cette mise en abîme déroutante en forme de pied de nez à ses nombreux détracteurs.

Qui est l'énigmatique Michel Houellebecq, vivant reclus en Irlande (afin de ne pas payer d'impôts), si souverainement détesté par une partie de l'intelligentsia française? La carte et le territoire, roman d'anticipation à la fois classique dans sa forme et sournoisement tordu dans son propos, ne fait que brouiller davantage le portrait, tellement l'auteur se joue de l'image qu'il projette avec un humour noir irrésistible.

«De notoriété publique, Houellebecq était un solitaire à fortes tendances misanthropiques, c'est à peine s'il adressait la parole à son public», écrit l'écrivain à propos de lui-même. Il n'hésite pas à se mettre en scène dans les situations les plus sordides, avec une décapante autodérision, tablant sur les a priori qui ont fait sa réputation sulfureuse.

Après le meurtre de l'auteur, l'enquête policière piétine, puisqu'il est de notoriété publique que «Houellebecq avait beaucoup d'ennemis». Le narrateur précise, au sujet de l'un des enquêteurs faisant le bilan de ses recherches sur l'écrivain: «Au total, il avait rarement vu quelqu'un ayant une vie aussi chiante.»

Aussi, lorsque l'ordinateur de Houellebecq, le personnage, est saisi après sa mort, deux policiers s'étonnent de la complexité de la protection de ses fichiers informatiques. «C'était un écrivain, dit le premier. Il voulait peut-être protéger ses textes, empêcher qu'on les pirate.» Le second, peu convaincu: «Ça fait plutôt penser à un type qui échange des vidéos pédophiles, ce niveau de protection.» Et le premier de conclure: «Ce n'est pas incompatible.»

Houellebecq pousse l'audace jusqu'à faire de son propre meurtre le pivot de son roman (on sent qu'il se délecte de la description de ses funérailles). Mais c'est Jed Martin, jeune peintre devenu riche par l'absurde logique spéculative du marché de l'art, qui sert de double à l'écrivain pour l'essentiel du récit. Un artiste indolent, misanthrope, au regard cynique...

Les rapports houleux entretenus par Houellebecq avec l'ensemble de la presse française (à l'exception notable des Inrockuptibles, à ses débuts) sont prétexte à d'autres tirades particulièrement comiques. «Vous savez, dit Houellebecq à Jed Martin, ce sont les journalistes qui m'ont fait la réputation d'un ivrogne; ce qui est curieux, c'est qu'aucun d'entre eux n'ait jamais réalisé que si je buvais beaucoup en leur présence, c'était uniquement pour parvenir à les supporter.»

Le personnage ajoute: «Comment est-ce que vous voudriez rencontrer quelqu'un qui travaille pour Marianne ou Le Parisien libéré sans être pris d'une envie de dégueuler immédiate? La presse est quand même d'une stupidité et d'un conformisme insupportables, vous ne trouvez pas?»

Réplique typiquement houellebecquienne. Il est ironique, dans les circonstances, de voir les médias français porter aux nues, comme jamais auparavant et de manière quasi unanime, le roman le plus «rassembleur» de l'auteur de Plateforme.

La carte et le territoire fait partie des 14 livres présélectionnés par le jury du prix Goncourt, comme l'avait été La possibilité d'une île, en 2005. Il y a cinq ans, à la faveur d'un emballement promotionnel monstre, on donnait déjà Houellebecq vainqueur du Goncourt avant même la publication de son roman, pourtant loin d'être son meilleur.

La carte et le territoire, publié de façon plus discrète par Flammarion, sans controverse (à l'exception d'une vague histoire «d'emprunt» chez Wikipédia), suscite déjà les avis partagés en prévision de la plus prestigieuse des récompenses littéraires françaises: Pivot et Sollers sont pour; Ben Jelloun et Assouline, contre. Le livre est un événement. Houellebecq, on présume, doit s'en amuser follement. Ou pas.