Chronique télé sur deux façons, diamétralement opposées, de traiter d'un sujet. D'un côté, l'instrumentalisation sensationnaliste de la trisomie pour fins de marketing du bon sentiment. De l'autre, la documentation sobre d'un projet humanitaire destiné à combattre les préjugés sur la trisomie.

Dimanche, Le banquier de TVA a éclairé de tous ses projecteurs une candidate trisomique, annoncée à grand renfort de promotion dès la fin août. Julie Trottier, 31 ans, atteinte de trisomie 21, a choisi des numéros de valises pendant une heure. On lui a remis plus de 100 000$ pour l'en remercier. Il s'est trouvé quelqu'un pour dire que ce spectacle racoleur, d'une condescendance fleur bleue, «a eu une valeur pédagogique incroyable».

Mardi, Canal Vie a diffusé Trisomie 21 - le défi Pérou, un documentaire réalisé par Lisette Marcotte sur l'aventure dans les Andes de six adultes trisomiques, encadrés par six étudiants et leur prof. Le défi : gravir le Machu Picchu, avant de participer à un projet humanitaire.

Contrairement au plus récent épisode du Banquier, ce documentaire ne découle pas d'une volonté de mettre en scène, pour les besoins d'un spectacle télévisuel, une personne trisomique. Le film a été imaginé dans la foulée d'un projet initié par Jean-François Martin, professeur de cégep en enseignement spécialisé, lui-même père d'un garçon trisomique.

Trisomie 21 - le défi Pérou, lauréat en 2008 d'un prix au Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, s'intéresse au défi physique et humain que constitue un voyage humanitaire pour de jeunes adultes trisomiques, atteints d'une déficience plus ou moins lourde. Les difficultés et les épreuves d'une telle aventure, l'adaptation à la randonnée en altitude, à une culture étrangère, à la promiscuité de la vie de groupe, au séjour en pension chez une famille de paysans péruviens.

Simone combat le vertige. Elle trouve réconfort auprès de Jean-Marie Lapointe, le parrain du projet, à qui l'on a confié la narration du documentaire. Les participants sont souvent à fleur de peau, fragiles, touchants, conscients de leurs limites. «Ça me fait de la peine de ne pas pouvoir avoir des enfants», dit Valérie, à qui l'on a enlevé l'utérus.

L'émerveillement de ces jeunes devant le Machu Picchu, leur fierté d'avoir tenu bon jusqu'à ce site mythique, d'avoir relevé le défi, un vrai défi, pas un défi créé de toutes pièces pour les caméras de télévision, m'a ému. C'est un cliché, mais les gens ne sont jamais plus beaux que dans le dépassement.

Le défi était presque aussi grand pour les étudiants. Trisomie 21 documente également l'aventure de ces jeunes intervenants, d'horizons variés, tous plus intéressants les uns que les autres. On est à des centaines de mètres d'altitude des candidats d'Occupation double.

Le film n'est pas sans défauts, mais le traitement est sobre et subtil, foncièrement humain. La trisomie fait l'objet d'explications précises, sans être didactiques. «L'objectif de ce projet-là, c'est de briser les préjugés», dit Jean-François Martin. Les trisomiques, dit-il, davantage stimulés, sont beaucoup plus épanouis qu'à une autre époque. «Arrêtez de les voir avec des yeux de pitié.»

C'est tout le contraire de la complaisance infantilisante qui transpirait à grosses gouttes sucrées du Banquier, dimanche. Pourquoi mettre en scène une concurrente trisomique? Précisément parce qu'elle est trisomique. C'est la caractéristique principale de son casting, pour parler en jargon de jeu télévisé. La particularité nécessaire pour émouvoir, pour créer l'événement, pour faire «de la bonne télé» (marque déposée) bienveillante et racoleuse, susceptible d'attirer un très grand nombre de spectateurs (cote d'écoute de 2,2 millions cette semaine).

La présence de Julie Trottier au Banquier n'avait certainement pas comme objectif de mettre un terme à «l'hégémonie du culte de l'apparence», comme l'a proposé sans rire l'un des concepteurs de l'émission. Et ces femmes-objets qui servent de décor en talons hauts à votre studio? Il n'y a pas une émission de télévision québécoise qui célèbre davantage le culte de l'apparence (et du fric) que Le banquier. À l'exception possible d'Occupation double.

Les plans de coupe des «beautés», posant un regard emphatique de cheerleader attendrie sur la fille moche de secondaire 2, saisissaient parfaitement le contraste voulu, dégoulinant de bons sentiments, de cette opération de charme tordue.

«Une valeur pédagogique incroyable». Misère. Cet épisode du Banquier n'aura servi, à mon sens, qu'à conforter les gens dans leurs préjugés, en les encourageant à s'apitoyer sur le sort de Julie. M'est avis, d'ailleurs, qu'ils se trompent de Julie.