Valérie Blais me retrouve à l'Express, rue Saint-Denis. La comédienne de Tout sur moi prépare pour 2010 un one-woman show dans lequel elle interprète une fillette cynique de 8 ans. Elle a souvent joué pour les enfants, notamment dans Cornemuse et Tactik, à Télé-Québec. Cette ancienne éducatrice en garderie s'est impliquée longtemps auprès du pédiatre social Gilles Julien. Elle est depuis septembre la «grande amie» d'une fille de 9 ans. Discussion sur l'enfance.

Marc Cassivi: Je voulais te parler de ton lien avec les enfants.

Valérie Blais: Je m'intéresse beaucoup à l'enfance. J'ai beaucoup travaillé en garderie en sortant de l'École, parce que je n'avais pas de boulot comme comédienne. J'ai fait beaucoup de théâtre avec des enfants. Je travaille au FIFEM (Festival international du film pour enfants de Montréal) depuis 15 ans. Je fais les voix des personnages. J'ai assisté récemment à une conférence du CIFEJ, le Centre international du film pour l'enfance et la jeunesse. Il y avait un psychiatre américain qui avait fait des études avec plusieurs enfants, partout dans le monde, sur les stades psychologiques des enfants. Il y avait parmi les groupes des enfants très scolarisés - des enfants de 4 ans qui avaient déjà le niveau d'enfants de première année - et d'autres qui n'apprendront jamais à lire. Le psychiatre a constaté que les stades psychologiques des enfants de 0 à 12 ans, peu importe leur origine ou leur milieu de vie, étaient les mêmes.

M.C.: Ils avaient les mêmes intérêts, les mêmes comportements?

V.B.: L'attachement, l'âge de raison: c'est pareil pour tous les enfants. Les stades ne bougent pas. C'est l'information qui bouge. Le chercheur parlait d'un nouveau phénomène chez les enfants qu'on appelle la compression affective. Les enfants de pays industrialisés, qui ont accès à l'internet rapidement, sont surchargés d'information compte tenu de leurs capacités affectives. Beaucoup d'enfants se referment en raison de ce surplus d'information. Lorsqu'on prépare des émissions pour enfants ou des films pour enfants, il faut tenir compte de ce nouveau phénomène.

M.C.: Il faut revenir à quelque chose de plus simple?

V.B.: Il ne faut pas oublier les stades affectifs...

M.C.: Ça peut être rassurant pour les parents. De voir que d'autres enfants de 2 ans font aussi des crises, ça nous rappelle que certains comportements sont liés à des stades, et pas seulement à notre incompétence comme parents! On se dit qu'on n'est pas seuls...

V.B.: Tu sais que c'est leur période la plus violente, 2 ans, de toute l'existence humaine.

M.C.: C'est vrai. Heureusement qu'ils ne sont pas plus forts!

V.B.: Ils découvrent leur potentiel violent. Et si tu n'interviens pas à ce moment-là, à 13 ans, tu es cuit! S'ils n'arrivent pas à tolérer leur frustration à l'interdit très tôt, il y a des répercussions plus tard. Il y a beaucoup de gens qui ne le savent pas.

M.C.: Les émissions pour enfants vont beaucoup faire les frais des compressions budgétaires à Radio-Canada. Comment perçois-tu ça?

V.B.: Je trouve ça terrible. Pas seulement en télévision. D'un point de vue sociétal, en général, on ne fait pas de place à nos enfants. C'est drôle, parce que je n'ai pas encore d'enfants. Mais j'aime les enfants et je ne vois pas ma vie sans enfants. J'en ai, de toutes sortes d'autres manières. Dans les pays scandinaves, plus l'enfant est jeune, et plus tu dois être scolarisé pour t'en occuper. Pour travailler en garderie, il faut avoir une formation solide, notamment en psycho-éducation. Pour moi, c'est investir dans l'avenir d'une société. Les taux d'échec scolaire sont parmi les plus bas dans les pays nordiques. J'ai travaillé en garderie sans aucune formation. Ça n'a pas de sens. Évidemment, les CPE (centres de la petite enfance) exigent des formations et certaines garderies privées aussi. Mais pas toutes. C'est un choix de société. Si on coupe en télévision pour enfants, ça veut dire qu'on coupe aussi en éducation. Il y a une détérioration des écoles. Mes parents ont enseigné au public. Ma mère a toujours défendu le public. Mais aujourd'hui, à la retraite, si elle avait un conseil à donner, ce serait d'envoyer les enfants au privé. C'est triste.

M.C.: Les listes d'attente dans les CPE sont une autre aberration. Mon plus vieux était en attente d'une place en CPE depuis pratiquement sa conception. Finalement, il a eu une place à quatre ans et demi, après cinq ans d'attente. Le CPE est formidable, mais il doit rentrer à la maternelle en septembre!

V.B.: Si on prenait davantage au sérieux le métier d'éducateur en garderie, il y aurait plus de gens qui s'y intéresseraient et il y aurait aussi plus de CPE.

M.C.: C'est clair qu'il n'y a pas assez de CPE au Québec si des enfants doivent attendre cinq ans pour avoir une place. Est-ce que tu t'es inspirée de ton travail en garderie pour ton personnage de Rafi dans Cornemuse?

V.B.: Oui, beaucoup. De deux enfants en particulier, à qui j'ai emprunté des façons de bouger et de parler. Si je n'avais pas travaillé en garderie, je n'aurais jamais fait une aussi bonne audition. Surtout qu'on ne voulait pas me voir en audition. Les gens ne savent pas à quel point ce métier est aléatoire. On veut te voir en audition, ou on ne veut pas te voir. Je ne vais pas me promener avec un fusil et une pancarte autour du cou: «Je veux passer une audition.» C'est ce que je déteste du métier d'actrice. C'est très frustrant de ne pas avoir accès à des auditions. Toi, tu sais que tu pourrais faire le travail, mais on ne te voit pas là. Tu es constamment dans le désir des autres.

M.C.: Et à la merci des effets de mode, parmi d'autres facteurs hors de ton contrôle.

V.B.: Mon agent m'avait dit: «Il ne faut pas courir après un succès.» Tu es au premier étage, et tout à coup tu te retrouves au 25e étage sans trop savoir pourquoi. Tu peux redescendre aussi vite. L'important, c'est de toujours créer. Mais pour un interprète, arriver à l'acte de jouer, ce n'est pas toujours facile. C'est beaucoup de travail.

 

Illustration: Francis Léveillée, La Presse