Jean-Luc Mongrain m'accueille au restaurant Otto de l'hôtel W. Après une pause de 10 mois, l'animateur fait un retour à la télévision, cette fois à LCN, le 2 mars, pour une quotidienne en direct de 10 h à 11 h 30. Il s'agit d'un «retour à la maison» pour Mongrain, qui a quitté TVA en 1996 après une dispute contractuelle. Sans changer son style, celui qui a animé pendant 10 ans le bulletin d'informantion de TQS dit vouloir donner davantage son opinion et offrir une porte d'entrée au journalisme citoyen.

Marc Cassivi: Je voulais vous parler de journalisme citoyen...

Jean-Luc Mongrain: Je ne sais pas ce que c'est. (sourire)

M.C.: Je m'intéresse à l'approche que vous allez privilégier à LCN.

J.-L.M.: Le journalisme citoyen, c'est une nouvelle appellation d'une notion assez vieille. Le journalisme n'existe pas s'il n'y a pas de citoyen et le citoyen a toujours été une source et une préoccupation. Je pense que le journaliste doit d'abord être un citoyen. Le journalisme citoyen, c'est une façon de dire qu'on donne une place plus importante à la population, en fonction de ses préoccupations. Avec l'instantanéité et la multiplicité des sources et des moyens de communication, le citoyen est beaucoup plus près du média. Je trouve intéressante cette démocratisation du média. Il s'est établi un genre d'élitisme dans les médias, en fonction du statut privilégié que les journalistes avaient, alors que maintenant, ce privilège-là n'appartient plus aux médias dits traditionnels. Il y a 30 ans, les salles de nouvelles invitaient les gens à partager leurs nouvelles en échange de prix. On a ajouté le commentaire et l'opinion du public. D'aucuns disent: «Attention, on peut dire n'importe quoi, etc.». Il est déjà arrivé que des commentateurs et des analystes...

M.C.: Disent n'importe quoi.

J.-L.M.: Peut-être pas n'importe quoi, mais beaucoup de choses pas tout à fait bien ciblées. Moi le premier, toi aussi, nous tous. Je ne crois pas que le métier donne un avantage majeur ou supérieur dans le fait de dire «j'ai raison». Au Québec, on cherche ça. On cherche un genre d'unanimité. On n'aime pas la différence. On trouve que ça tombe dans la chicane. Ce sont des reliquats judéo-chrétiens. Je pense que la diversité d'opinions est souhaitable. Quand je fais un commentaire, je ne demande pas d'avoir raison. Je dis ce que je pense au risque de me tromper, sans demander la permission.

M.C.: Il y a quand même un danger à mon avis à considérer l'opinion du citoyen comme une source fiable d'information. Il faut être capable de vérifier les faits, d'agir comme un filtre. Le journalisme citoyen ne remplacera jamais une salle de nouvelles.

J.-L.M.: Le journalisme citoyen n'ouvre pas la porte à l'aberration. Il m'est rarement arrivé d'avoir de la bêtise en ondes, et j'avais des lignes ouvertes il y a plusieurs années. Je pense que tu récoltes un peu ce que tu sèmes. Maintenant, est-ce que c'est une mode? Est-ce que c'est une récupération marketing de la démocratisation du média et d'une ouverture à d'autre plateformes? Ce n'est pas impossible.

J.-L.M.: Ce qui est extraordinaire, c'est d'être capable de naviguer à travers tout ça. Dans la tempête, il faut savoir garder le cap. Le jugement, le bon sens, l'intelligence... Ça existe l'intelligence populaire. On l'a vu récemment dans l'expression démocratique aux États-Unis.

M.C.: Dans ce nouveau show, vous annoncez que vous voulez faire une place plus grande à l'opinion et en particulier, à votre opinion...

J.-L.M.: Tu utilises le mot show consciemment?

M.C.: J'y ai pensé en le disant, oui.

J.-L.M.: Il y aura de l'opinion dans mon «émission». Il ne faut pas se le cacher, j'ai toujours fait ça. J'ai toujours abordé la nouvelle par ma perception des choses, par une réaction qui est mienne, avec une intention éditoriale. Dans le commentaire, dans le propos, dans la mimique et le non-verbal, ç'a toujours existé. Ç'a été vrai même dans la chapelle du bulletin de nouvelles. Je sors du bulletin de nouvelles. Je me donne encore plus d'espace, alors que j'en ai pris semble-t-il beaucoup dans le passé. La formule a même fait que les autres ont changé, en insérant du commentaire dans leurs bulletins de nouvelles. Je vais aussi bloguer. C'est tout nouveau pour moi. Je ne connais pas ça. Je veux pouvoir relancer des discussions en vidéo: «B22 vient de dire...» Il y a toute cette dimension-là aussi que je trouve curieuse. L'anonymat du blogue qui crée un mystère.

M.C.: Mais qui donne aussi aux gens, encore plus que dans les tribunes téléphoniques, la possibilité de dire des choses exagérées. Pour revenir au journalisme citoyen, ce qui me dérange particulièrement est le fait que ces «journalistes» ne soient pas redevables de leurs écrits. Je n'ai rien contre l'opinion, à condition qu'elle soit éclairée et appuyée sur des faits. Or, on est à mon sens dans une ère du commentaire pour le commentaire.

J.-L.M.: Ç'a toujours été. C'est vrai dans le salon, sur le parvis de l'église, dans la salle paroissiale ou au bingo. Tout le monde a une opinion sur tout. Maintenant, on fait des forums où les gens échangent. Et je pense que celui qui dit une aberration se fait remettre assez rapidement sur le nez sa bêtise. Il y en a bien sûr pour qui c'est un sport, mais on est dans la marge quand on parle de ça. Il y aura toujours des gens pour mettre leurs pieds sur la table au restaurant. On n'arrêtera pas d'ouvrir des restaurants pour ça.

M.C.: Vous vous êtes engagé pour combien de temps avec LCN?

J.-L.M.: Pour trois ans. Quand ils m'ont contacté, je pensais que j'allais à TVA.

M.C.: Comme tout le monde d'ailleurs. Certains ont aussi pensé que vous alliez à Radio-Canada.

J.-L.M.: J'aurais pu. J'ai négocié ouvertement avec les deux réseaux en même temps. Mais c'est faux de croire que je vais à TVA. Mes ententes sont avec LCN. Et je suis tout à fait content de ça. Qu'est-ce que j'irais faire à TVA, honnêtement? Fournir une autre demi-part de marché?

M.C.: Si TVA veut profiter de votre présence à LCN pour vous rediffuser à son antenne, comme Denis Lévesque...

J.-L.M.: On se rassoira. On ne sera même pas en reprise à LCN.

M.C.: Je me mets à la place de TVA et je me demande pourquoi je me priverais d'une telle locomotive.

J.-L.M.: Je pense que tu as une vision traditionnelle de la télé. Pourquoi Anderson Cooper est à CNN, et pas à ABC, NBC ou CBS? Parce qu'il y a chez les spécialisées une volonté d'augmenter l'écoute. En fin de semaine, en faisant l'épicerie, il y a une dame qui m'a dit qu'elle avait appelé à Vidéotron pour s'abonner à LCN. On ouvre un chemin.

M.C.: Vous allez bloguer, mais vous allez aussi avoir une chronique au Journal de Montréal.

J.-L.M.: Oui.

M.C.: Ce ne sera pas tout de suite. Voulez-vous attendre la fin du conflit de travail pour commencer?

J.-L.M.: Non. Ça n'a rien à voir. J'ai un nouveau show à préparer dans une station que je ne connais pas, et j'ai un blogue, dans un univers que je ne connais pas. Je ne m'en vais pas là pour me planter! J'ai des contrats qui datent d'il y a huit mois, bien avant le conflit, qui prévoient que je fais de la télé, du web et Le Journal de Montréal. J'écrirai dans Le Journal de Montréal. Quand? Je ne le sais pas. Tout le monde souhaite qu'un conflit, quel qu'il soit, se règle le plus rapidement possible. Mais ce n'est pas pour moi un critère.

M.C.: Allez-vous trouver délicat de chroniquer si le conflit n'est pas terminé?

J.-L.M.: Si je ne remplis pas mes obligations, l'autre partie va me poursuivre. J'ai des obligations. C'est ce que je sais. Je n'écrirai pas avant d'être prêt.

 

Illustration: Francis Léveillée, La Presse