Dans la ville martyre d'Alep, les atrocités ne viennent pas toutes du même côté, contrairement aux dires de ceux pour qui les seuls diables, dans cette guerre infernale, sont Bachar al-Assad et ses alliés russes.

Les combattants rebelles ont commis leur large part de crimes de guerre, dont le moindre n'est pas d'avoir pris des civils en otage et de s'en être servi comme boucliers humains. Telle est en effet la terrible caractéristique des conflits du Moyen-Orient : c'est parmi les civils que les combattants installent leurs équipements, leurs armes et leurs quartiers généraux, attirant sur eux le feu de l'ennemi.

Que ces civils soient complices des insurgés (selon Le Figaro, ce serait le cas d'environ la moitié des habitants encore présents à Alep-Est), ou simplement des malheureux pris en étau entre un régime violent et des insurgés tout aussi violents, ils servent à la fois d'otages et de boucliers humains.

Les factions rebelles les utilisent abondamment pour leur propagande à l'étranger, en diffusant les photos atroces des enfants assassinés et les témoignages bouleversants des familles terrifiées. Si, comme cela s'est produit plus d'une fois, une bombe ennemie tombe sur un hôpital, l'effet de propagande est surmultiplié.

Jusqu'ici, très peu de civils avaient profité des trêves pour fuir ce guêpier meurtrier. Soit par peur des représailles du régime (les hommes en âge de combattre sont traités comme des rebelles, une fois réfugiés en territoire loyaliste), soit parce que les dirigeants locaux de l'insurrection les dissuadent de partir... par divers moyens.

Vendredi dernier, le porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU, Rupert Colville, a accusé deux groupes, dont le Fateh al-Cham, organisation terroriste précédemment liée à Al-Qaïda, d'avoir kidnappé et exécuté des civils qui voulaient quitter Alep-Est.

Hier encore, la Commission d'enquête sur la Syrie des Nations unies rapportait que durant la dernière trêve, les combattants du Fateh al-Cham et de l'Ahrar al-Cham empêchaient les civils de quitter les quartiers assiégés d'Alep-Est. En outre, des insurgés se mêlaient aux civils en train de fuir les lieux, ce qui par définition exposait les civils aux tirs de l'armée syrienne.

Combien de civils sont morts faute d'avoir pu échapper à ces geôliers qui, jusqu'à leur défaite militaire, exerçaient sur Alep-Est un pouvoir absolu ?

À la fin du mois de novembre, Staffan de Mistura, l'envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, déclarait qu'en de nombreuses occasions, des insurgés armés se sont opposés au départ des habitants des quartiers placés sous leur contrôle (cité par Benjamin Barthe dans Le Monde). En octobre, M. de Mistura s'est dit « horrifié » par les tirs d'obus et de roquettes lancés par les rebelles dans les quartiers ouest d'Alep, qui ont fait au moins 41 morts, dont 16 enfants, et 250 blessés.

Mutatis mutandis, le même phénomène s'est produit à Gaza, alors que les terroristes du Hamas lançaient leurs roquettes contre Israël à partir du toit de maisons habitées par des familles. L'armée israélienne multipliait les avertissements recommandant aux civils de fuir avant qu'elle ne commence à bombarder les positions du Hamas. On doute que le régime syrien et les Russes aient éprouvé les mêmes scrupules. D'où le nombre extrêmement élevé de victimes civiles à Alep.

La même chose se produit sans aucun doute en Irak, dans la lutte de la coalition militaire menée par les États-Unis contre le groupe État islamique (EI). À Mossoul, les civils et les djihadistes sont intimement mélangés, d'autant plus que les premiers sont obligés de se vêtir comme les djihadistes, sous peine d'être tués. Croit-on vraiment que la coalition réussit à bombarder les zones sous l'emprise de l'EI sans faire de « victimes collatérales » ?

La différence, c'est qu'on n'en parle pas, parce que les civils qui vivent sous le joug de l'EI sont incapables de communiquer avec le reste du monde, alors que les insurgés de Syrie bénéficient de bons moyens de communication, ayant été largement financés par les puissances sunnites comme le Qatar et l'Arabie saoudite et, dans le cas de certains groupes dits « modérés », par les États-Unis et divers pays européens.

On entretient encore, pour mieux dresser un portrait en noir et blanc du conflit syrien, la fiction d'une « opposition modérée » au régime d'Assad.

Or, il y a des années que l'opposition plus ou moins démocratique de l'Armée syrienne libre (ASL) s'est volatilisée ou a été absorbée par des groupes mieux organisés et beaucoup plus radicaux.

Ainsi le Fastaqim Kama, membre de l'Armée syrienne favorisée par les Occidentaux, a vu ses combattants capturés - et ses dépôts d'armes volés - par le Harakat Nour al-Din, groupe salafiste dont le degré de dangerosité est controversé et qui a déjà été accusé de diverses exactions.

En 2015, le journaliste Robert Fisk affirmait que l'ASL est « en miettes », et ses combattants dispersés entre le Front al-Nosra et l'EI, pendant que les dirigeants de l'ASL, interlocuteurs privilégiés des puissances occidentales, « boivent du café à Istanbul ».

Le groupe qui semble dominer le tableau est le Jabhat Fateh al-Cham, considéré comme terroriste, qui est la nouvelle appellation du Front al-Nosra, ce dernier ayant rompu cette année avec Al-Qaïda pour conserver le soutien de ses commanditaires saoudiens et qataris. Pour le spécialiste du Moyen-Orient Jean-Pierre Filiu et d'autres chercheurs, al-Nosra est le prolongement de l'EI en Syrie, et les deux tiers de ses combattants viennent de l'étranger, notamment de la Libye et du Kosovo.

Le reste du tableau est le champ de bataille d'une multitude de groupes et de sous-groupes, du Fatah Halab (affilié aux Frères musulmans, apôtre de la charia) à l'Ahrar al-Cham (idéologiquement proche des talibans), en passant par le Front du Levant, une coalition hétéroclite de Frères musulmans et de salafistes radicaux aujourd'hui dissoute.

Divers organismes, dont Human Rights Watch, ont imputé à des groupes rebelles des crimes de guerre, allant d'assassinats à l'engagement d'adolescents de moins de 15 ans dans les rangs des combattants.

Ce qu'on connaît des groupes insurgés est un écheveau fluctuant dont on sait seulement que s'il prenait le pouvoir à Damas, il serait infiniment plus dangereux pour la région et le reste du monde que le régime d'Assad, aussi sanguinaire soit ce dernier.