Échaudé par ses résultats aux élections partielles, le gouvernement Couillard est à la croisée des chemins. Il ne lui suffira pas, pour regagner la confiance des électeurs francophones, de proclamer qu'il a « sauvé » le Québec en rééquilibrant les finances publiques.

On ne se refait pas à 59 ans. Le premier ministre ne réussira jamais à acquérir le sens politique qui lui permettrait d'aiguiser ses réflexes devant les questions imprévues. Il restera toujours ce personnage distant, énigmatique, dont on ne sait trop pourquoi il a tant voulu le pouvoir.

Mais à défaut de se métamorphoser (ce qui ne serait pas convaincant), M. Couillard peut au moins agir au niveau des ministères pour améliorer la performance de son gouvernement.

Les priorités : changer le ministre de la Justice. Miser sur l'éducation. Ramener la « marque » économique qui a toujours garanti le succès des gouvernements libéraux.

Stéphanie Vallée est incapable de faire face aux défis du ministère de la Justice.

Elle s'est engluée pendant des mois dans un projet de loi liberticide sur les « discours haineux » avant, finalement, de le laisser tomber sous la pression populaire (peut-être aussi sur l'ordre du premier ministre).

Elle ne peut défendre avec clarté et conviction le projet de loi sur les services publics « à visage découvert », un projet d'ailleurs bâclé et flou.

Elle s'est même égarée sur la question de savoir si le mariage religieux était indissociable du contrat civil ! M. Couillard a dû la désavouer publiquement pour éviter que la panique se répande chez les couples dont le mariage a été célébré par un ministre du culte.

L'arrêt Jordan, cette inqualifiable intrusion de la Cour suprême dans l'administration de la justice, va compliquer singulièrement sa tâche.

Il faut un nouveau ministre à la Justice, une personne solide, rationnelle et crédible. Pourquoi pas Pierre Moreau, qui est avocat, et enfin de retour au travail après un congé de maladie qui avait privé le gouvernement de l'un de ses meilleurs atouts ?

L'arrivée d'un nouveau ministre à la Justice permettrait au gouvernement de clarifier sa position sur les accommodements raisonnables, et peut-être même d'envisager la solution Bouchard-Taylor quant au port de signes religieux.

M. Couillard s'y est toujours refusé, pour des raisons parfaitement légitimes, mais il devrait peut-être jeter du lest pour se montrer à l'écoute des revendications identitaires d'une bonne partie des francophones. Certes, la solution Bouchard-Taylor serait largement symbolique : dans la réalité, aucun juge et aucun policier n'arbore de signe religieux... c'est donc un « non-problème ». Il reste qu'une interdiction strictement limitée pourrait calmer le jeu, dans une opinion publique survoltée par les clameurs démagogiques des chantres du « Nous ».

Un nouveau ministre pourra aussi s'interroger sur la possibilité d'invoquer la disposition dérogatoire pour soustraire le Québec à l'arrêt Jordan.

Autre priorité, l'éducation. M. Couillard a nommé à ce poste un jeune ministre dynamique. Espérons que le jeu des chaises musicales, dont ce ministère a terriblement souffert, s'arrêtera pour de bon. Espérons aussi que Sébastien Proulx évitera de se laisser distraire par des objectifs secondaires et futiles, comme la mise sur pied d'un ordre professionnel pour les enseignants.

M. Proulx a heureusement renoncé à l'idée d'abolir les commissions scolaires. Il devrait aussi écarter l'idée d'une seconde commission Parent. Le Québec n'a pas les moyens de se lancer dans d'autres réformes de structures, encore moins de perdre du temps à laisser des pédagogues et autres technocrates ergoter ad nauseam sur l'école idéale d'après-demain.

Le temps presse, dans le domaine de l'éducation. Le Québec français a toujours le record canadien de l'analphabétisme et du décrochage scolaire, et trop de jeunes Québécois scolarisés sont incapables de maîtriser le français.

Ne nous laissons pas abuser par les résultats flatteurs des tests PISA en mathématiques et en sciences. Selon Le Devoir, les écoles privées y étaient surreprésentées, par suite d'un boycottage des directeurs d'écoles publiques, dont environ la moitié n'ont pas participé au concours. L'organisation de PISA a d'ailleurs indiqué qu'à cause de ce biais de « non-réponse », les résultats du Québec devaient être « traités avec circonspection ».

Le gouvernement Couillard s'était fait élire en mettant de l'avant son « trio économique »... dont il ne reste que deux membres plus ou moins visibles, Carlos Leitao aux Finances et Martin Coiteux aux Affaires municipales. Le gouvernement devrait remettre à l'affiche sa « marque » économique. Pourquoi pas un superministère de l'Économie ?

Quant à la santé et aux services sociaux, le ministre Barrette y a entrepris une vaste réforme dont on ne sait trop ce qu'il en ressortira concrètement. Il ne serait pas opportun de changer de ministre à mi-chemin et de défaire le travail commencé. Les services de santé ont déjà été assez chambardés, ils ne pourraient tolérer un changement abrupt de direction.

Maintenant que M. Barrette semble avoir appris les règles de la politesse élémentaire, et qu'il a été écarté de la direction des négociations salariales avec les médecins, aussi bien le laisser mener son projet à terme.