Bien que le Canada soit une souris à côté de l'éléphant américain, des deux hommes qui se sont rencontrés jeudi à Washington, le plus puissant, du moins sur le plan intérieur, n'était pas celui qu'on croit.

Barack Obama a peut-être éprouvé un petit frisson d'envie en pensant à la facilité avec laquelle un premier ministre canadien peut réaliser ses projets, lui qui a eu tant de mal à faire passer les siens au Congrès.

Telles sont en effet les grandeurs et les misères du système américain, fondé sur la règle des « checks and balances » (l'équilibre des pouvoirs) entre la présidence, le Sénat et la Chambre des représentants.

Il peut arriver, surtout lors des élections de mi-mandat, que des majorités opposées au président prennent le contrôle du Sénat ou de la Chambre des représentants.

Barack Obama a eu toutes les peines du monde à faire adopter son « Obamacare ». L'administration fédérale s'est trouvée plus d'une fois paralysée par l'obstruction systématique des législateurs républicains. Si Obama tentait de nommer un nouveau juge à la Cour suprême en remplacement du juge Scalia, les républicains pourraient facilement saboter l'initiative jusqu'aux élections présidentielles de novembre.

Ajoutons à cela que contrairement au nôtre, le Sénat américain est élu et doté de larges pouvoirs, et que contrairement à nos parlementaires liés par la solidarité ministérielle, les membres du Congrès, indépendamment de leur étiquette partisane, sont farouchement individualistes.

Par contre, Justin Trudeau, fort de sa majorité parlementaire qui le suivra docilement, pourra réaliser son programme.

Il pourra abolir sans passer par un référendum le régime électoral du pays, pour instaurer une formule de représentation proportionnelle mixte qui avantagerait son propre parti. Même dans les domaines les plus délicats, comme l'aide à mourir, il pourra imposer un régime calqué sur celui de la Belgique - du moins si l'on en juge par les propositions bâclées qui sont sorties d'un comité parlementaire composé, comme c'est normal, d'une majorité libérale.

En somme, à partir du moment où son parti récolte la majorité des sièges, le premier ministre a la voie libre pour quatre ou cinq ans... mais il devra toutefois affronter deux grandes entraves potentielles.

Pierre Trudeau a en effet greffé au système parlementaire un puissant contrepoids :  la Charte des droits et libertés telle qu'interprétée par la Cour suprême. Une cour particulièrement militante, comme ce fut le cas sous le gouvernement Harper, peut donc annuler ou modifier des lois.

L'autre contrepoids est celui qui existe dans tous les régimes démocratiques : c'est l'opinion publique, mesurée par les sondages, les médias et les manifestations citoyennes. Le gouvernement Trudeau, tout comme ses prédécesseurs, devra en tenir compte et reculer au besoin sur ses intentions, pour éviter de compromettre sa réélection par des projets impopulaires.

Le premier ministre canadien est seul maître des politiques de défense nationale, mais politiquement, il est obligé de soumettre la question à un débat parlementaire.

Il y a des zones grises. Si, théoriquement, l'entrée en guerre des États-Unis doit être approuvée par le Congrès, la guerre du Viêtnam et l'invasion de l'Irak ont été décidées par la Maison-Blanche sous divers euphémismes qui contournaient le mot « guerre » (aide militaire à des alliés, usage de la force).

Les deux systèmes ont leurs mérites et leurs failles. La formule américaine est plus démocratique. Le parlementarisme de type britannique est plus efficace... encore que la solidarité ministérielle s'y effrite parfois quand les enjeux sont explosifs.

Ainsi, dans le référendum qui décidera de l'appartenance de la Grande-Bretagne à l'Union européenne, la moitié du caucus conservateur est opposée au premier ministre Cameron, et ce dernier n'y peut rien, car la vague europhobe est trop forte.

Deux voisins, deux systèmes... mais néanmoins un même esprit, celui de la démocratie, qui malgré ses zones grises et ses trous noirs, vaut mieux que n'importe quel autre régime.