La tour de la SRC, splendidement isolée derrière ses grands parkings, dans un morne paysage urbain qu'elle n'a jamais réussi à transformer, est à vendre.

Ces quelque 10 millions de pieds carrés (six fois la Place Ville Marie !) ne trouveront pas preneur facilement. On voit mal quel acheteur unique pourrait être intéressé, dans une ville qui regorge d'églises, de couvents, d'usines et d'hôpitaux désaffectés dont on ne sait plus que faire.

Un autre centre commercial géant entre les Galeries d'Anjou et le Quartier DIX30 ? Des immeubles de bureaux alors qu'il y en a des tas qui sont inoccupés dans les quartiers actifs du centre-ville ? De nouveaux commerces dans une zone où il y a très peu de consommateurs ?

Voilà ce qui se passe quand on se bâtit une maison en oubliant le précepte premier de la bible immobilière : « location, location, location ! ». L'emplacement, messieurs-dames ! Autrement, votre maison sera difficile à vendre.

Ce sera en tout cas le dernier chapitre d'une série de mauvaises décisions... dont la plus visible était l'attribution des étages supérieurs aux cadres, avec vue imprenable sur le fleuve et la ville, alors que les studios et les salles de nouvelles étaient au sous-sol. Les animateurs parlent de météo sans savoir le temps qu'il fait dehors !

Mais cela n'est qu'un détail, à comparer avec les effets nocifs que l'implantation de Radio-Canada dans cette zone tristounette a eus sur le développement du Montréal français.

Jusqu'en 1973, la SRC logeait dans l'ouest du centre-ville, à l'angle de la rue Bishop et du boulevard Dorchester (rebaptisé René-Lévesque). On a déménagé dans l'est, en partie parce que le maire Drapeau souhaitait revitaliser l'ancien Faubourg à m'lasse. Illusion !

Tout un quartier populaire a été dévasté, et 1200 résidents ont été expulsés de leurs logements en pure perte. La SRC n'a rien apporté à l'est de Montréal. Ce fut et c'est encore un îlot divorcé de son environnement.

Mais ce faisant, on a privé le centre-ville d'un formidable foyer de culture française.

Il aurait suffi de quelques expropriations pour que la SRC se trouve aujourd'hui à l'emplacement de Concordia et de quelques grandes banques.

On aurait actuellement au coeur même de Montréal un foyer dynamique de culture française : des milliers de créateurs, d'intellectuels, de journalistes, d'artisans et de professionnels francophones, qui auraient formé un puissant contrepoids aux deux universités anglaises et aux grands bureaux d'affaires où l'anglais est roi.

Certes, tous les commerçants du centre-ville vous accueillent en français. La Montreal Athletic Association, Ogilvy, le Musée des beaux-arts, le Musée McCord et le YMCA se sont francisés. La librairie Indigo a une bonne section française. Les universités anglaises font une place admirable au français.

Mais à part le Renaud-Bray de la Place Ville Marie et des restaurants comme Chez Alexandre et Europea, il n'y a plus dans l'ouest du centre-ville de commerces inscrits dans l'authentique tradition française, faute d'un véritable centre de rayonnement de la culture française.

Seules les grand-messes du hockey attirent encore dans le quartier des masses de francophones... qui repartent aussitôt pour leurs banlieues.

Le déménagement de Radio-Canada dans l'est a été décidé à une époque où régnait un nationalisme frileux et étriqué. Jean Drapeau encourageait les Canadiens français à se replier dans l'est, pour y bâtir un centre-ville parallèle à celui des « Anglais ».

Ce repli vers l'est allait consacrer l'abandon du « vrai » centre-ville aux anglophones, comme si les francophones étaient incapables d'occuper fièrement tout l'espace de la métropole, ce qui pourtant aurait bien été dans la logique de la loi 101. Hélas, même une fois la loi passée, son esprit n'a pas encore imprégné les francophones, qui persistent à bouder le centre-ville qui devrait leur appartenir.

Ce retrait de la SRC préfigurait le grand exode des francophones vers la banlieue d'outre-pont - cette grande saignée qui hypothèque à jamais l'avenir du français dans la métropole.