Qui sont les francophones dans l'entourage de Justin Trudeau ? La liste ne sera pas longue. Exception faite du député néo-brunswickois Dominic LeBlanc, ceux qui jouent des rôles déterminants auprès de M. Trudeau sont de jeunes anglophones de sa génération, notamment Katie Telford et Gerald Butts, dont j'ai parlé dans ma chronique de jeudi.

Le directeur général du siège social du PLC à Ottawa, Jeremy Broadhurst, est unilingue. Sur les 35 membres du conseil d'administration du parti, on compte trois Québécois : le financier Stephen Bronfman et deux femmes francophones inconnues du public, de même que, jusqu'à cette semaine, Daniel Gagnier, un ancien chef de cabinet de Jean Charest qui était la caution francophone du parti... mais qui s'est fait prendre dans un effarant conflit d'intérêts. Tout en étant coprésident de la campagne libérale, M. Gagnier a écrit aux promoteurs du projet d'oléoduc Énergie Est pour leur indiquer la meilleure façon de piloter leur cause auprès du futur gouvernement !

L'affaire a des relents de vieille politique et nuira à l'image limpide que voulait se donner Justin Trudeau. En réalité cependant, M. Gagnier jouait un rôle beaucoup plus effacé que le prétendaient les libéraux, quand ils faisaient croire aux journalistes qu'un « poids lourd » du Québec francophone était un important conseiller du jeune chef libéral.

M. Gagnier a passé quelques heures dans l'autobus de campagne du chef libéral, et lui a peut-être prodigué quelques conseils à l'occasion, mais n'a jamais fait partie du brain trust permanent. Il consacrait l'essentiel de son temps à d'autres activités, notamment à la présidence de EPIC (Energy Policy Institute of Canada), un organisme de lobbying au service de l'industrie pétrolière. Selon le magazine Maclean's, il n'était même pas au Québec quand le parti a tenu son congrès de 2014 à Montréal !

Durant les deux années précédant la campagne électorale, plusieurs libéraux québécois se sont plaints de l'indifférence qu'affichait la direction centrale du parti envers le Québec et la langue française. Comme pour leur donner raison, au dernier congrès, M. Trudeau a livré l'essentiel de son discours en anglais.

Justin Trudeau, quand il est en terrain amical comme dimanche dernier à Tout le monde en parle, s'exprime fort correctement en français, la langue qu'il parle en famille. C'est loin d'être toujours le cas lorsqu'il aborde les questions politiques. Il est alors évident que ses propos découlent de séances de travail qui se sont déroulées en anglais.

Mardi, il s'est lancé dans une explication qui a laissé les reporters francophones bouche bée. Extrait : « l'impact d'adresser l'utilisation de consultants par ce gouvernement qui font un excès et aussi de regarder si y a des crédits d'impôt qui aident vraiment seulement les mieux nantis... ». Jeudi, il accusait ingénument les sulfureux frères Ford de Toronto, qui appuient les conservateurs, d'avoir des « valeurs mésogènes ».

Advenant l'élection d'un gouvernement libéral, quels seront ses rapports avec le Québec ? Sera-t-il, conformément à la philosophie traditionnelle du PLC (qu'il partage d'ailleurs avec le NPD), plus centralisateur que le gouvernement Harper ? Ce dernier a évité d'empiéter sur les compétences des provinces, ce qui reflétait la mentalité « provincialiste » de son parti.

Dans une perspective optimiste, et à la lumière de la manière dont il a mené sa campagne, on pourrait présumer que Trudeau fils pourrait être porté à la conciliation plutôt qu'à l'affrontement.

Le chef libéral est moins cultivé que Michael Ignatieff, il n'a pas l'envergure intellectuelle de son père ou de Stéphane Dion, mais il a fait preuve, durant cette campagne, d'un bon instinct politique - qualité primordiale en politique, qui était, soit dit en passant, la grande force de Jean Chrétien et de Brian Mulroney... et qui le mène aujourd'hui aux portes du pouvoir.