Il va falloir commencer à se méfier des sondages préélectoraux... et aussi des prédictions des médias, qui sont tous, par définition, à la traîne des firmes de sondage.

On l'a vu la semaine dernière à propos d'Israël. On annonçait partout la déroute de Benyamin Nétanyahou, ce dernier est sorti du scrutin plus fort que jamais. Tous les commentateurs affirmaient que les Israéliens ne se souciaient que des questions économiques (et voteraient donc pour la coalition menée par le Parti travailliste), mais la victoire de «Bibi» montre que la sécurité nationale reste au contraire une priorité.

On a vu au Canada, ces dernières années, des distorsions analogues entre les sondages et les résultats, notamment en Colombie-Britannique, avec la réélection-surprise, en 2013, des libéraux de Christy Clark, et en Alberta, en 2012, avec la défaite inattendue du Wildrose Party.

Le résultat du premier tour des élections départementales de dimanche, en France, est l'exemple le plus récent de l'incapacité croissante des instituts de sondages à prendre le pouls de l'électorat.

On prédisait un taux d'abstention record. Or, à 49,4%, le taux de participation au premier tour des cantonales a été le plus élevé depuis 1994 (exception faite de 2011).

On prédisait le triomphe du Front national, à qui l'on attribuait à l'avance le tiers des voix. Il n'en a récolté que le quart! Et s'il est en deuxième place, avec à peu près le même volume d'appuis qu'aux élections européennes, il a perdu cette fois le titre de «premier parti de France» au profit de l'UMP de Sarkozy.

On prédisait enfin la débandade du Parti socialiste... lequel s'en est tiré un peu mieux que prévu, avec 21% des voix. Cela n'a rien de glorieux, mais ce n'est pas la fin du monde, compte tenu de l'impopularité du président Hollande et de l'insatisfaction ambiante envers le gouvernement Valls, compte tenu aussi du fait que ces élections de mi-mandat sont toujours, comme les «partielles» chez nous, une occasion de lancer des signaux de mécontentement. Et si l'on ajoute aux votes du PS ceux de l'extrême gauche, l'ensemble de la gauche reste, malgré ses divisions et ses déboires, de force égale aux partis de droite.

Quant à l'UMP, on aurait pu s'attendre à un balayage. C'est sans doute ce qu'espérait Nicolas Sarkozy, qui vient de prendre les rênes du parti avec l'oeil sur les présidentielles de 2017. Le score honorable du premier tour laisse entrevoir qu'au second tour, dimanche prochain, la France de la base (cantons et départements) basculera de la gauche à la droite, mais cela n'a toutefois rien d'un raz-de-marée. Sarkozy a eu beau reprendre sans vergogne les thèmes de l'extrême droite, il n'a pu empêcher une partie de son électorat de glisser vers le FN. Dans l'actuel climat de méfiance envers la classe politique traditionnelle, un ancien président qui tente de revenir aux affaires n'a rien de bien attirant pour l'électeur désabusé.

C'est ce climat, précisément, qui est le terreau dans lequel prospère le FN. Marine Le Pen a opté pour la démarche inverse de celle de son père, qui rêvait de conquérir le pays par le haut, à partir de la présidence. La stratégie de la fille est plus exigeante, mais plus intelligente: elle va de bas en haut, misant sur les municipales et les cantonales, histoire de montrer que son parti peut former de «bons gouvernements» locaux qui lui serviront de tremplin pour l'assaut final, en 2017.

Quelle sera l'ampleur de sa percée au second tour? Difficile à dire, tout dépendant des reports de voix. Chose certaine, la France est en train de passer du bipartisme au tripartisme, trois blocs d'importance à peu près égale s'arrachant ses faveurs. Le changement est majeur.