Ce matin, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada et Philippe Braham ont été inhumés au mont des Oliviers de Jérusalem.

Que les familles des victimes de l'attentat du supermarché cachère de Paris aient unanimement décidé d'enterrer leurs proches à Jérusalem, si loin du pays où ils étaient nés ou avaient longtemps vécu, voilà un événement qui envoie un message très fort à la France et au reste du monde: ils retournent à la terre d'Israël, le pays dont la raison d'être originelle était d'offrir un refuge aux Juifs persécutés.

En effet, ce n'est pas parce qu'ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment que ces quatre hommes ont été assassinés par le troisième homme du trio djihadiste. Ce n'est pas par hasard que Coulibaly a ciblé, parmi les centaines de commerces de la porte de Vincennes, une épicerie cachère. Il voulait tuer du Juif, comme il l'a fièrement annoncé par téléphone au reporter de BFM.

Il en a tué quatre: Cohen, 23 ans, commis au magasin. Hattab, 22 ans, étudiant. Saada, 64 ans, cadre supérieur à la retraite. Braham, 45 ans, commercial dans l'informatique.

On le sait, les victimes les plus nombreuses du terrorisme islamiste sont des musulmans, que ce soit au Pakistan, en Irak ou en Syrie. Mais les Juifs sont la cible de choix. Toujours et partout.

Dans les grandes manifestations de dimanche mobilisées par l'attentat contre Charlie Hebdo, cette réalité a été occultée bien qu'elle crevait les yeux: même au paroxysme de leur colère contre les «blasphèmes» de Charlie Hebdo, les fous d'Allah n'ont pas oublié l'ennemi numéro un. C'était dans la logique des derniers attentats islamistes.

Toulouse, 2012: quatre juifs, dont trois enfants. Bruxelles, 2013: quatre victimes au Musée juif. L'antisémitisme reste plus que jamais une composante essentielle du djihadisme.

Les dirigeants français ont réagi admirablement à cette autre attaque antisémite, en se rendant solennellement avec Benyamin Nétanyahou à la Grande synagogue de Paris, mais cela n'empêchera pas la peur de grandir chez les Juifs de France.

2014 a été une année record de l'émigration juive en Israël, avec 7000 départs pour l' «aliyah» (la procédure par laquelle tout Juif est instantanément accueilli sans passer par le processus de l'immigration), soit 130% de plus qu'en 2013. L'agence juive prévoyait que le nombre monterait à 10 000 en 2015... mais c'était avant le dernier attentat.

Cette émigration est significative car, loin d'être des déshérités, les Juifs émigrants sont pour la plupart des diplômés universitaires de classe moyenne. Ils laissent un pays où la qualité de vie est extraordinaire et le climat idéalement tempéré, pour la culture moins raffinée et la chaleur atroce du Proche-Orient. Ils s'astreindront à apprendre une autre langue, l'hébreu, dont ils n'ont jamais connu que des bribes archaïques reliées aux textes sacrés.

La peur dépend de deux facteurs: la visibilité et le quartier. On ne parle pas ici des intellectuels laïcs du 5e arrondissement ou des grands bourgeois du 16e, mais des Juifs pratiquants, identifiés par leur kippa ou leur costume, et qui sont souvent harcelés ou agressés dans le métro ou le RER. Ou de ceux qui, religieux ou non, vivent dans des quartiers à majorité musulmane.

Selon le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, il n'y a pratiquement plus d'élèves juifs dans les écoles publiques du 93 (le département où sont concentrées les «cités» maghrébines prolétarisées). «Ils en ont été chassés à coup d'insultes et d'intimidation», ce que confirment les témoignages de nombre d'enseignants.