Massimo Pacetti et Scott Andrews, ces deux députés libéraux que leur chef Justin Trudeau a congédiés pour des «fautes» dont on ignore la nature, n'ont pas bénéficié de la présomption d'innocence dont jouissent les pires criminels.

Ils ont été désignés à la vindicte publique sans savoir de quoi exactement ils sont accusés, comme dans ces dictatures où l'on vous emprisonne sans produire d'acte d'accusation documenté.

Leurs accusatrices sont pour l'instant anonymes. Or, sans plainte formelle, la Chambre des communes ne peut évidemment pas mener une enquête.

Quoiqu'il arrive de ces plaintes qui n'en sont pas et de ce procès public qui n'en est pas un, ces deux hommes encore jeunes voient leur carrière gâchée et leur vie familiale dévastée.

Ils sont mariés. Ils ont des enfants qui se feront dire, à l'école, que leurs pères sont des «maniaques sexuels». Imagine-t-on l'enfer dans lequel ces familles ont été plongées?

Hélas, dans ce climat enfiévré par une avalanche de révélations émotionnelles, même le ministre de la Justice, Peter MacKay, applaudit à l'initiative de Trudeau: « (Cette affaire) a un bon côté, car cela ravive l'importance de débusquer le harcèlement.» Donc, sous-entend-il, il y a eu harcèlement. On se serait pourtant attendu à ce qu'un ministre de la Justice soit sensible à l'importance de la présomption d'innocence - une disposition qui constitue, faut-il le rappeler, la base de notre système judiciaire.

«Trudeau n'avait pas le choix» de dénoncer ses propres députés, disent plusieurs commentateurs, même s'il savait que les députées offensées refusaient de dévoiler leur version des faits. Autrement, disent ces fins observateurs, les conservateurs auraient eu vent de l'affaire et l'auraient accusé de faire du «cover-up», de protéger ses députés.

Faux. Trudeau avait le choix. Il pouvait dire aux plaignantes qu'il sévirait si elles acceptaient de s'identifier. Il pouvait dire: dans notre société, on ne condamne pas des gens sans preuve; tout accusé jouit de la présomption d'innocence et doit savoir de quoi on l'accuse avant de subir un procès.

En agissant précipitamment, le chef libéral a été doublement injuste: envers les présumées victimes autant qu'envers ses députés.

Qu'ont fait ces malheureux? Comme on ne sait rien, ce peut être tout et n'importe quoi. Des agressions violentes? Des remarques condescendantes? Des compliments à connotation sexuelle? Des gestes déplacés? Des regards lascifs?

Ce que l'on sait, c'est qu'il n'y avait aucun rapport de domination dans ces histoires, dont les protagonistes sont de simples députés de partis différents. Quel pouvoir un député libéral peut-il bien avoir sur une députée néo-démocrate?

Dans ce domaine, en dehors évidemment du viol caractérisé que toute femme sait reconnaître bien que le Code criminel n'en fasse plus mention, bien des choses sont de l'ordre de la subjectivité.

Un comportement qu'une femme sûre d'elle jugerait sans importance peut ébranler une personne plus fragile. Des compliments appuyés peuvent plaire à une femme qui voit ainsi confirmé son pouvoir de séduction, ils peuvent révulser une femme qui a gardé d'événements antérieurs une méfiance instinctive des hommes. Des paroles qu'une femme dotée d'une certaine maturité psychologique trouverait simplement vulgaires peuvent ébranler une femme qui prend tout au pied de la lettre.

Les rapports entre hommes et femmes, même en milieu de travail, sont d'une complexité infinie et l'on y trouvera toujours plus de nuances de gris que de noir et de blanc.

Chose certaine, même si le silence des présumées victimes est à respecter, elles ne peuvent pas réclamer tous les droits en même temps - celui de ne pas témoigner et celui de faire condamner leurs «harceleurs» - au détriment des droits fondamentaux de ces derniers.