Le jour du marathon, je devais aller à Radio-Canada. À l'angle de la rue Saint-Denis, deux punkettes bloquent le boulevard René-Lévesque, adossées à leur voiture bariolée... La police version 2014.

Je baisse la vitre : « Comment je fais pour aller à Radio-Canada ? »

« C'est où ça ? », rétorque l'une des punkettes. Ma parole, combien d'étages devrait avoir la tour de la SRC pour que les jeunes recrues du SPVM en connaissent l'existence ?

Un autre jour, je vois un policier déguisé en « squeegee » donner une contravention à un automobiliste. Ce dernier attend, résigné, tête baissée sur le volant. Je suis contente de ne pas être à sa place. Je me connais, je n'aurais pas pu m'empêcher de lancer au policier : « Attifé comme vous l'êtes, vous avez le culot de me donner une contravention ? » Il l'aurait mal pris, c'est sûr, et je me serais retrouvée dans un joli pétrin.

Car voilà, ces messieurs-dames de la police trouvent normal de faire régner la loi tout en y contrevenant de la manière la plus spectaculaire qui soit : en se débarrassant de ce qui permet au citoyen de savoir, au premier coup d'oeil, à qui il a affaire : l'uniforme - le signe distinctif entre tous qui vous rassure si vous vous sentez menacé ou si vous avez besoin d'aide.

Le vice-président de la Fédération des policiers municipaux écrivait récemment dans ces pages que les policiers fournissent le même service et qu'une personne en détresse ne penserait pas à ces pantalons sortis des surplus d'armée. Certes, mais encore faudra-t-il que le policier s'identifie formellement pour que vous compreniez que le bonhomme qui vient vers vous avec son pantalon bigarré et sa casquette rouge n'est pas n'importe quel badaud, mais celui précisément qui va vous tirer d'affaire. À défaut de l'uniforme qui l'identifierait instantanément, faut-il vérifier le matricule d'un policier avant de lui faire confiance ?

Rien n'empêche les policiers d'organiser des manifestations et de distribuer des dépliants de protestation dans leurs temps libres. Ce serait ni plus ni moins convaincant que cette mascarade.

Le port de l'uniforme n'est pas une convention vide de sens. Dans tous les pays, c'est une obligation faite à ceux qui ont l'honneur d'être investis de l'autorité de l'État : les juges portent la toge ; les douaniers et les policiers s'identifient par un uniforme qui représente le symbole de l'autorité, en même temps qu'un signe de respect envers le public.

Il y a d'autres professions où le port d'un uniforme de travail, à tout le moins d'un signe distinctif clair et visible, devrait s'imposer : chez le personnel hospitalier.

J'ai souvent accompagné des proches à l'hôpital et chaque fois - aux étages autant qu'à l'urgence - c'était un cauchemar de s'orienter à travers le fouillis d'employés habillés n'importe comment.

Qui est qui ? Cette personne en sarrau est-elle un médecin, une infirmière diplômée, une aide-infirmière ou une préposée aux malades ? Ce type en jeans est-il un médecin, un étudiant en médecine, un électricien ou un brancardier ? (Seule certitude, le médecin spécialiste, c'est celui qui n'est pas là !)

Comment être sûr qu'on s'adresse à la bonne personne quand on a une question angoissante en tête ? Le porte-nom ne suffit pas, car il n'est pas lisible à une distance normale. D'ailleurs ce n'est pas le nom qu'on veut connaître, c'est la fonction !

Le paradoxe, dans ce fouillis où aucun professionnel n'est clairement identifiable, c'est que la seule personne à qui l'hôpital impose un uniforme distinctif, c'est le patient ! Le patient que l'on force à revêtir l'infâme jaquette ouverte dans le dos, indépendamment de sa condition. Une façon de le rabaisser, de le déshumaniser et de lui rappeler sa condition d'objet passif...