Barack Obama a vieilli de dix ans en un an. Il a maigri, ses cheveux sont grisonnants. Mercredi soir, c'est avec une rigidité quasi robotique et le regard éteint qu'il a annoncé l'intensification des opérations militaires contre l'État islamique.

Le superbe orateur avait cédé la place à un homme désenchanté et tendu, qui voit s'écrouler ses rêves de paix et doit se résoudre à faire la dernière chose qu'il voulait: renvoyer des troupes dans cet Irak de malheur, dont il espérait tant avoir classé le dossier pour de bon.

La montée de Da'ech (le nom arabe de l'EI), ce mouvement islamiste encore plus dangereux qu'Al-Qaïda, appelait une réponse forte, mais l'engrenage qui s'en suivra sera explosif. Les bombardements et l'envoi de drones sur des zones irakiennes occupées par l'EI, incluant des villes densément peuplées, tueront des civils innocents, ce qui ne fera qu'exacerber les haines contre l'Occident.

Les États-Unis comptent installer en Arabie saoudite une base destinée à entraîner la faction «modérée» des rebelles syriens, dans l'espoir qu'ils participeront à la lutte contre Da'ech sur le sol syrien. Mais c'est une dangereuse illusion que de miser sur ce petit groupe inefficace, depuis longtemps dépassé par les factions islamistes.

Il vaudrait mieux s'allier avec le régime de Bachar al-Assad, au nom du vieux principe selon lequel l'ennemi de mon ennemi est mon ami (au moins temporairement). Comme le dit Jeffrey Bale, un spécialiste californien des groupes extrémistes interviewé par Richard Hétu, aussi vil soit Bachar al-Assad, son gouvernement est «le dernier rempart militaire» contre les djihadistes.

Mais après avoir condamné le régime syrien sur toutes les tribunes, c'est une voie à laquelle se refuse la Maison-Blanche. Espérons que dans les coulisses, il se produit des pourparlers entre émissaires américains et syriens, lesquels pourraient paver la voie à une collaboration militaire entre les forces américaines et le gouvernement de Damas.

Certains «insiders» croient savoir qu'il y a eu de discrètes négociations avec l'Iran, quant à la menace qui pèse sur les musulmans chiites, que les sunnites de l'EI considèrent comme des hérétiques au même titre que les chrétiens.

C'est à pleurer, mais l'Occident doit se résigner à jouer la carte religieuse - autrement dit, s'allier au besoin avec les chiites de Téhéran et de Damas - s'il veut stopper l'avancée de Da'ech. C'est la loi de ce Proche-Orient où les vraies frontières sont d'ordre religieux, loin des frontières artificielles dessinées par la France et la Grande-Bretagne après l'effondrement de l'Empire ottoman.

Ces jeux d'alliances entraîneront bien des effets pervers. Les Kurdes, à qui l'on a en quelque sorte «sous-contracté» la lutte contre Da'ech dans le nord de l'Irak, et dont les États-Unis ont renforcé l'arsenal militaire, ont leurs propres ambitions, tout comme les talibans avaient les leurs quand les Américains les ont armés pour combattre les Russes, dans les années 80. Les Kurdes profiteront de leur nouvelle position de force pour essayer de tailler un grand Kurdistan à même les territoires irakien, turc, syrien et iranien. Voilà qui introduira un autre facteur de déstabilisation dans une région fragile. Déjà, la puissante Turquie refuse de participer à la coalition anti-Da'ech, par peur des futures offensives des Kurdes contre elle.

Autre grande question, peut-on vaincre un groupe comme Da'ech en se limitant à des frappes aériennes, avec comme seul allié au sol une armée irakienne désorganisée et impotente? La plupart des experts en doutent et estiment qu'il faudra tôt ou tard envoyer des contingents sur le terrain - «boots on the ground»... Le cauchemar d'Obama et de tous les Occidentaux traumatisés par les offensives ratées de leurs armées en terre musulmane.