Le «modèle nordique» dont s'inspire le projet de loi fédéral sur la prostitution est paternaliste envers les femmes, toutes considérées comme des victimes irresponsables, et discriminatoire envers les hommes, tous dépeints comme des pervers maléfiques. Et il s'avèrera en dernière analyse inefficace, si l'on croit abolir ainsi la prostitution.

Les esprits naïfs qui ont conçu ce modèle actuellement en vigueur en Suède, en Norvège et en Islande (et bientôt en France) s'imaginent qu'en pénalisant le client, on pourra tarir à la source la prostitution. Passons sur cette illusion de bien-pensant puritain.

La prostitution ne disparaîtra pas parce qu'elle répond à certains besoins humains - des besoins que l'on peut trouver tristes ou répugnants, mais qui existent depuis la nuit des temps - , et qu'il se trouvera toujours d'autres humains (femmes ou hommes, car la prostitution n'est pas qu'une occupation féminine!) pour les satisfaire contre rémunération.

La prostitution continuera d'exister. Il faut donc non pas la légaliser (ce qui entraînerait d'autres problèmes), mais en encadrer l'exercice de façon à permettre aux prostitués de travailler dans des conditions les moins dangereuses possible, à limiter au maximum les inconvénients pour le reste de la société et à combattre les réseaux criminels qui exploitent des mineurs, des femmes vulnérables ou des immigrées sans statut.

C'est plus facile à dire qu'à faire, bien sûr, mais ce n'est pas à coup de mesures illogiques comme celles que vient d'échafauder le gouvernement Harper que l'on y parviendra.

Le projet de loi C-36 contient les mêmes failles qui avaient poussé la Cour suprême à invalider la loi existante. C'est à croire que le gouvernement veut paver la voie à un autre affrontement avec la Cour, histoire de faire mousser le vote conservateur avant les prochaines élections!

Le projet de loi est, tout comme la loi actuelle, empreint d'hypocrisie: la prostitution reste légale, mais son exercice sera impossible, sauf sur un mode quasi clandestin. Ainsi, on interdit aux prostitués d'annoncer leurs services sur des sites internet ou dans des publications. Cherchez un début de logique dans une loi qui interdit au fournisseur d'un service légal de communiquer avec des clients potentiels!

On interdit aussi aux prostitués de travailler près des églises (!) et à proximité de lieux où pourraient se trouver des mineurs... bref, aussi bien dire qu'ils seront refoulés dans les anciennes zones industrielles dilapidées, ou dans des quartiers déserts. Ce qui en fera des proies faciles pour les criminels de tout acabit.

En vertu du modèle nordique, les clients seront pénalisés par des amendes énormes et risqueront de perdre leur réputation (et leur ménage) dans l'aventure. Ils seront donc nerveux et pressés, et les prostitués n'auront pas le temps de vérifier à quelle sorte de client ils ont affaire. De quel droit s'en prendre ainsi à de simples citoyens dont la majorité n'a aucun dossier judiciaire, pour la simple raison qu'ils se livrent à une activité qui, notons-le bien, n'est pas illégale?

Pourquoi pénaliser l'acheteur, mais pas la vendeuse? Pourquoi présumer que toutes les femmes engagées dans la prostitution sont asservies contre leur gré? On sait pourtant que pour nombre d'entre elles, particulièrement au Canada, il s'agit d'une activité librement choisie, aussi destructrice soit-elle sur le plan personnel.

Autre illogisme, ce modèle ignore totalement la réalité de la prostitution masculine. Les jeunes hommes qui vendent des services sexuels à d'autres hommes ou à des femmes bénéficieront-ils de l'indulgence accordée à leurs consoeurs? Sinon, pourquoi pas?

Et les femmes qui retiennent les services d' «escortes» masculines seront-elles traitées comme des clients masculins? Sinon, pourquoi pas?

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C'est sur ces questions troublantes que je vous laisse, chers lecteurs, pour quelques semaines. De retour début septembre.