La victoire du Front national de Marine Le Pen aux élections européennes, outre qu'elle constitue un camouflet de plus aux socialistes et à l'UMP, aura pour effet d'affaiblir grandement la France sur la scène européenne.

Bien sûr, les 24 députés FN ne pèseront pas lourd dans un parlement de 751 sièges. S'ils réussissent à s'entendre avec les autres petits partis europhobes, ils auront surtout un pouvoir de nuisance. Mais quelle crédibilité reste-t-il au président François Hollande, avec son minable 14% du vote, auprès des autres capitales, tout particulièrement à Berlin, où la chancelière Angela Merkel a vu sa coalition conservatrice remporter la part du lion aux élections européennes?

La victoire des «eurosceptiques» en Grande-Bretagne aura beaucoup moins d'impact parce que la Grande-Bretagne - le seul autre pays qui, par sa taille et son niveau de développement, aurait pu jouer un rôle majeur dans la construction de l'Europe - s'est mise hors-jeu depuis longtemps, en s'excluant de la zone euro et des accords de Schengen, qui ont aboli les frontières intra-européennes. Les «eurosceptiques» britanniques, sans surprise, pavent la voie à un éventuel référendum qui verra sans doute le Royaume-Uni sortir pour de bon de l'Europe.

La montée du FN, premier parti français aux élections européennes, a une tout autre importance, car l'alliance entre la France et l'Allemagne constituait, on le sait, le socle sur lequel a été fondée l'Union européenne. La présence, aux commandes, des deux principaux pays d'Europe donnait un semblant de vocation fédérale à une union qui, avec le temps, allait devenir un assemblage disparate de pays qui ont fort peu en commun.

Or, depuis la crise financière de 2008, l'Allemagne est devenue de facto le principal leader de l'Europe, le seul pays important à avoir échappé au naufrage, grâce à la direction calme et résolue de ses dirigeants, et surtout grâce à son peuple industrieux et raisonnable. Nicolas Sarkozy, par son dynamisme, avait réussi à maintenir l'illusion que la France était le co-leader politique de l'Europe, ex aequo avec l'Allemagne... mais cette «Merkozy» était, pour une bonne part, de la poudre aux yeux. L'arrivée de François Hollande, qui a préféré que son pays prenne la tête des pays endettés du sud plutôt que de rester l'allié privilégié de l'Allemagne, n'allait qu'aggraver les choses. L'Europe, aujourd'hui, n'a qu'un véritable leader, l'Allemagne.

Dans une Europe chroniquement incapable de se donner une politique étrangère commune, c'est encore Angela Merkel qui a pris tranquillement les rênes dans la crise ukrainienne en tentant de négocier une ébauche de solution diplomatique avec Vladimir Poutine, alors qu'à Paris, Londres ou Washington, on se répandait en menaces vides et en cris d'indignation futiles (Hillary Clinton et le prince Charles ont stupidement comparé Poutine à Hitler!).

La montée du FN, conjuguée à l'impopularité abyssale du gouvernement Hollande-Valls et au passage à vide de l'UMP, dont les tiraillements internes ouvrent la porte à d'autres percées du FN, tout cela accroîtra inévitablement la disparité entre l'Allemagne et la France... que certains commentateurs français n'hésitent plus à qualifier d' «homme malade de l'Europe». Un titre naguère appliqué à l'Empire ottoman qui, dans ce cas-ci, est nettement exagéré, mais traduit bien l'état d'angoisse de nombreux Français.

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Rectificatif

Dans ma chronique sur le rapport de la commission Ménard, j'ai fait l'erreur de traiter ironiquement la recommandation visant le port d'un dictaphone, sans préciser que cette recommandation, loin de s'appliquer à tous les policiers appelés à avoir recours à la force, ne s'appliquait qu'aux tireurs - ceux qui sont entraînés et seuls autorisés à utiliser des armes d'impact intermédiaires à projectiles (balles de plastique ou de caoutchouc). Mes excuses à la Commission et aux lecteurs.