Le Québec n'est pas facile à gouverner, et la tâche de premier ministre est la plus ingrate qui soit. Elle vous abîme la santé, elle vous prive de votre famille et détruit votre intimité, elle vous expose à la curiosité publique et à la vindicte populaire, et souvent elle vous arrache le coeur, comme cela vient d'arriver à Pauline Marois.

Aucun ancien premier ministre n'est sorti indemne de ces années de service public, car c'est bien de cela qu'il s'agit. On n'a qu'à comparer les photos «avant» et «après». Le pouvoir corrompt, dit-on (un adage excessif qui est loin de s'être avéré dans ce Québec qui n'a pas à rougir de ses anciens premiers ministres), mais surtout, il vous vieillit prématurément.

Mme Marois est apparue au moment de ses adieux à la presse parlementaire comme une femme blessée au coeur autant qu'à la tête, encore sous le choc d'un coup qu'elle n'avait pas vu venir, tant il est vrai que les chefs en campagne croient toujours jusqu'au dernier moment qu'ils ont une chance de gagner. Autrement, ils seraient incapables de traverser l'épreuve que constitue une campagne électorale. Jacques Parizeau, au soir du référendum de 1995, croyait lui aussi mordicus à la victoire, d'où sa réaction de bête blessée à mort, sa recherche enragée de boucs émissaires.

Mme Marois est une femme et elle a réagi, grâces lui en soient rendues, comme la plupart des femmes l'auraient fait à sa place: avec des larmes, en laissant transparaître son désarroi, là où un homme, à sa place, aurait serré les dents et les poings. Pleurer n'est pas un signe de faiblesse, c'est un signe d'humilité, la preuve qu'on peut assumer ses émotions sans fausse honte.

La dame de béton qui, dans l'opposition, avait bravement affronté la fronde de ses députés et les manigances de ses rivaux, la politicienne aguerrie qui, après avoir dirigé tous les ministères importants (un record absolu), avait fini par se rendre au sommet, cette femme-là pouvait aussi, à l'occasion, retrouver ses réflexes de travailleuse sociale et de mère de famille. À Lac-Mégantic, devant l'horreur qui aurait glacé d'effroi bien des hommes, elle savait tout naturellement trouver les mots et les gestes de la compassion.

Mme Marois a-t-elle été jugée plus sévèrement qu'un homme? Assurément. Je ne dis pas que ce fut la cause de sa défaite, qui tient à bien d'autres facteurs. Il reste que le double standard classique a souvent imprégné la façon dont elle a été évaluée.

On l'a souvent accusée d'être «carriériste» alors qu'on aurait parlé d'«ambition» dans le cas d'un leader masculin. On lui a reproché ses jolies écharpes et ses tailleurs élégants alors qu'André Boisclair se promenait impunément dans les costumes bien coupés de la griffe Dubuc. Ses conseillers ont tout fait pour la masculiniser en l'affublant, pour les débats télévisés, d'horribles vestes carrées et grisâtres, comme si une féministe n'avait pas le droit d'être féminine. On lui a fait grief de sa fortune familiale, alors que personne n'a reproché à François Legault d'être multimillionnaire. Dans bien des commentaires, on sentait percer à son égard une sorte de hargne très personnalisée, de plaisir dans la détestation, qui ne se serait pas manifestée contre un premier ministre masculin.

«Je vous aime», dit-elle aux Québécois en guise d'adieu. Mais si elle fut mal aimée en retour, elle est en bonne compagnie: même René Lévesque, en 1985, a terminé sa carrière politique en mal-aimé, répudié par son parti, dans l'indifférence générale. Le temps fera justice à Pauline Marois comme il a fait justice à tous ceux qui ont donné une partie de leur vie au Québec.