Selon Louise Beaudoin, la génération qui a porté le projet indépendantiste aurait « échoué à transmettre aux plus jeunes le goût du pays ».

Ces mots laissent croire que les baby-boomers seraient en quelque sorte responsables du dépérissement de l'idée. Je crois plutôt que loin d'être dû à « l'échec » d'une génération, le déclin de l'option indépendantiste tient simplement au fait que la société a changé.

Les conditions qui avaient donné naissance au mouvement souverainiste - l'infériorité linguistique et économique des Canadiens-français - ont disparu, grâce notamment à la loi 101, à l'élévation de la scolarité et à l'émergence d'une classe d'entrepreneurs, grâce aussi au Parti québécois lui-même, qui a souvent été « un bon gouvernement ».

Comment peut-on dire que les souverainistes ont échoué à transmettre leur idéal, alors qu'au contraire, ils ont tout fait et tout essayé pour faire avaler à la majorité un projet dont elle n'a jamais vraiment voulu ?

On a commencé par changer le vocabulaire. Les premiers indépendantistes, comme Marcel Chaput, parlaient de « séparatisme ». Le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) a choisi un vocable plus positif : l'indépendance. Le PQ a opté pour le terme rassurant, mais vague de « souveraineté ». Lévesque, lui, se faisait encore plus lénifiant : il privilégiait le concept de « souveraineté-association », avec un trait d'union.

Après l'échec de 1980, le PQ s'est converti au nationalisme civique, dans l'espoir d'amener les anglophones et les immigrants à voter pour un idéal qui n'intéressait, au fond, que les Canadiens-français. Cela n'a pas marché.

Le PQ est donc revenu au nationalisme ethnique, ou identitaire si l'on préfère, avec l'idéologie du « nous » (versus les autres), et la Charte de la laïcité. Cela n'a pas marché, comme on vient de le voir.

Le PQ a exploité tout ce qu'il pouvait trouver de croche au Canada anglais, gratté ad nauseam la plaie causée par le rejet de Meech (un accord que le PQ jugeait risible au départ), provoqué mille et une guerres de clochers avec le fédéral, dans le but de déclencher un sursaut nationaliste qui paverait la voie à un référendum gagnant. Cela n'a pas marché.

Même la loi sur la clarté, dont le gouvernement Bouchard espérait qu'elle mette le feu aux poudres, n'a suscité aucune colère, même pas l'ombre d'une manif. Les sondages ont montré que la majorité était d'accord avec les exigences de la loi, et Jean Chrétien a réalisé peu après son meilleur score au Québec !

Le PQ a penché tantôt à gauche, tantôt à droite, jamais trop loin du centre. Rien n'a réussi à triompher des réticences de la majorité envers l'idée d'indépendance.

Le PQ a essayé les arguments économiques avec les Parizeau et les Landry, il a essayé le lyrisme et le romantisme avec la myriade d'artistes engagés, il a essayé la persuasion par le charisme (Lévesque, Bouchard), il a essayé les remontrances et la culpabilisation, comme le font encore aujourd'hui Gilles Vigneault et Jean Dorion, qui affirment que c'est parce qu'ils ont « peur de leur ombre » (dixit Dorion) que les Québécois résistent à l'idée de rompre avec le Canada.

Mieux encore, grâce aux enseignants et aux communicateurs qui leur étaient acquis en grand nombre, les souverainistes ont réussi à faire de leur idéal l'idéologie dominante au Québec.

La souveraineté, malgré qu'elle ait échoué à tous les tests que la réalité lui a fait subir, a dominé pendant 40 ans la vie intellectuelle et artistique du Québec. C'était un tour de force que de faire d'une option minoritaire la seule qui soit, dans les cercles distingués, politiquement correcte. Cela non plus n'a pas marché.

On voit mal quelle stratégie le PQ pourrait dorénavant utiliser pour amener la majorité à son option.