Les Montréalais sont tellement habitués au régime des partis municipaux qu'on a fait grand état du fait que le maire Coderre n'aura pas la majorité au conseil municipal de Montréal.

Et alors? Cela ne l'empêchera pas de faire passer ses projets et pourrait même être fort bénéfique pour la ville. Des coalitions ad hoc souples et ponctuelles seront bien plus fructueuses que des collisions frontales entre des partis enfermés dans leurs crédos respectifs.

De toute façon, M. Coderre l'avait dit d'entrée de jeu: son «équipe» serait «une ombrelle» plutôt qu'un carcan, et ses conseillers ne seraient pas soumis à une ligne de parti.

Il va de soi que M. Coderre aurait préféré que tous ceux qui ont fait campagne autour de son nom soient élus. Mais bon, il lui manquera six conseillers... qu'il trouvera facilement parmi les ex-membres désormais indépendants d'Union Montréal ou ceux qui ont été élus sous la bannière de Mélanie Joly ou de Coalition Montréal - des regroupements qui eux non plus n'étaient pas des partis politiques et qui se retrouvent au surplus sans leaders, par suite des défaites de Mélanie Joly, Marcel Côté et Louise Harel.

M. Coderre, avec son habileté politique, sera particulièrement apte à aller chercher des alliés au sein du conseil municipal.

Il l'a dit et répété: Montréal n'est pas un parlement, c'est une administration. À ce chapitre, d'ailleurs, le Québec fait figure d'anomalie, car il n'y a pas de partis municipaux dans les grandes villes nord-américaines, à l'exception de Vancouver (à un certain degré). C'est normal, du reste, car la majorité des enjeux, à ce niveau, sont d'ordre matériel et relèvent du pragmatisme ou d'intérêts locaux.

Rares sont les questions municipales qui soulèvent de gros débats gauche-droite sinon, à l'occasion, les questions environnementales, et encore. À qui fera-t-on croire que l'itinéraire des pistes cyclables constitue un enjeu justifiant la création d'un parti?

Le délitement d'Union Montréal et l'effondrement de la coalition Harel-Côté ont pavé la voie à l'instauration d'un régime sans lignes de partis, où les conseillers seront redevables à leurs électeurs de la base plutôt qu'à une bureaucratie partisane et à un chef tout-puissant.

Le fait que M. Coderre sera forcé d'élargir sa propre coalition fera le reste. Dimanche soir, il a reconnu que la population «a demandé (à ses élus) de travailler ensemble» et promis d'être un maire rassembleur et inclusif. Hier, il en a rajouté en laissant entendre qu'il pourrait dissoudre son équipe.

En faisant l'éloge de Marcel Côté, il est venu à un cheveu d'annoncer qu'il solliciterait ses conseils en matière de gouvernance (ce qui serait probablement une fort bonne idée).

Malheureusement, il restera un gros bloc de ciment susceptible d'entraver l'instauration d'un climat de relative harmonie au conseil municipal. Projet Montréal, désormais seul «vrai» parti municipal à Montréal, sort renforcé d'une campagne qu'il a menée tambour battant, et se jugera autorisé à agir comme une opposition parlementaire conventionnelle.

Dimanche soir, le roitelet du Plateau, Luc Ferrandez, a métaphoriquement brandi le poing comme s'il était déjà parti en guerre, sans même avoir la politesse élémentaire d'offrir ses félicitations au nouveau maire. Celui-là, encouragé par sa victoire fracassante dans son arrondissement, risque de s'avérer encore plus rigide que Richard Bergeron, que la campagne avait un peu détendu, tant était grand son désir de rallier les modérés à sa cause.

Reste à savoir aussi comment se comportera Mélanie Joly, qui a promis de se présenter au premier poste de conseiller de ville qui s'ouvrira. Mais elle s'illusionne si elle croit que le petit groupe disparate de conseillers élus sous sa bannière formera un vrai parti.